L'Enfant-Roi
rues de Paris étant peu sûres. Les mauvais garçons y
commettaient mille truanderies et jusqu’à voler, sous le défunt roi, à la barbe
du guet, un carrosse, lequel attendait devant l’hôtel du financier Zamet que
notre Henri eût terminé une partie de cartes, où assurément il gagna, mais
point assez pour compenser la perte de son équipage.
Bien que retrouvant comme toujours avec joie le logis de mes
jeunes ans, je ne pus de la nuit trouver le sommeil, tant mon entrevue avec
Madame de Lichtenberg m’avait agité.
J’étais déjà dans les délices. Et l’œil clos ou déclos,
c’était tout un : je voyais ma Gräfin partout, j’oyais la musique
de sa voix, je humais son parfum, je me faisais des revues et dénombrements de
ses belles qualités. Et comme elle remplissait tout l’horizon de ma vie,
laquelle était devenue sur terre déjà en mes songes un petit paradis dont la
propriété m’était à jamais assurée – si un bon génie m’était alors venu
dire que ma Gräfin comptait aussi l’immortalité au nombre de ses vertus,
à peu que je l’eusse cru.
Mais la méchantise de la fatalité, qui avait infligé déjà
tant de délais et de retardements à mes vœux les plus chers, me poursuivit
derechef sous la forme du même petit vas-y-dire dont j’avais baisé la veille les
joues barbouillées, lequel m’apporta un billet où Madame de Lichtenberg me
disait qu’elle s’était réveillée avec une fièvre et une toux qui la forçaient
de remettre notre rendez-vous de l’après-midi.
Elle me priait, faisant peu confiance aux médecins parisiens,
de demander à mon père de la venir examiner. Ce que je fis sur l’heure, et le
pleur quasi au bord des cils, tant déjà je la croyais mourante, après l’avoir
supposée immortelle. « Je serais fort étonné que ce fût grave, dit mon
père, la dame étant bâtie comme votre marraine, à chaux et à sable. »
Néanmoins, faisant seller son cheval et suivi de Pissebœuf et d’un page, il
partit quasiment à la minute.
Je tournais et virais en la librairie, très décontenancé par
ce nouveau coup et l’inquiétude me rongeant le cœur. Mais à la parfin, un peu
de sagesse me revint et, incapable de m’attacher à un livre, je me fis apporter
par Poussevent une de nos arquebuses et la posant de prime sur une table,
j’entrepris de la curer, gardant l’œil sur ma montre-horloge pour calculer le
temps que j’y mettais.
Tout soudain, un grand tohu-bohu éclata dans la cour, où
j’allai jeter un œil par les verrières. C’était le carrosse de Madame de Guise.
« Eh quoi ! pensai-je, hors de mes sens, si tôt ! Et sans
prévenir ! Et mon père qui n’est pas au logis ! Et comment oserais-je
jamais lui dire qu’il est allé soigner une dame, elle dont la jaleuseté est
toujours en éveil ! Et Margot qu’il faut incontinent mettre au
secret ! Et moi-même qui suis échevelé, la barbe hirsute, sans pourpoint
et les mains graisseuses ! »
Je courus prévenir Margot d’avoir à se clore en sa chambre
comme souris en son trou. Mais Franz m’avait déjà devancé et il n’eut que le
temps de redescendre en trombe du deuxième étage pour accueillir la duchesse
sur notre seuil.
Elle échangea à peine quelques mots avec lui, le bouscula
pour entrer, monta à l’étage noble quasi courant, suivie de Noémie de Sobole,
fit irruption dans la librairie et, sans répondre à mon salut, elle me dit, ou
plutôt elle me cria de but en blanc :
— Où est votre père ?
— Il est allé porter ses soins, Madame, à un
gentilhomme de ses amis.
— À un gentilhomme, vraiment ?
— Oui, Madame.
— À un gentilhomme ou à une gentille dame ?
— À un gentilhomme, Madame.
— Et quelle sorte de soins était-ce là ?
— Médicaux, Madame.
— Le marquis de Siorac, chevalier du Saint-Esprit, va à
domicile soigner les mal allants comme un faquin de médicastre ! As-tu oui
cela, Noémie ?
— Oui, Madame.
— N’est-ce pas honteux ?
— C’est honteux, Madame, dit Noémie.
— Madame, dis-je, mon père vous a soignée en votre
hôtel pour une entorse et l’a fort soulagée par d’habiles massages.
— C’est qu’il m’aimait alors ! dit Madame de
Guise.
— Et il a guéri Noémie à domicile d’un refroidissement
de poitrine.
La duchesse haussa les épaules.
— Naturellement, il est toujours là, quand il s’agit de
tâter le tétin d’une garce, fût-il
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