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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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aussitôt les yeux sur ma galette, feignant de n’avoir pas
remarqué son trouble et au bout d’un moment elle reprit d’une voix quelque peu
étouffée :
    — Comment avez-vous meublé votre appartement ?
    — Madame de Guise m’a donné ce qu’elle appelle ses
« rebuts ».
    — Comment va-t-elle ? dit-elle, plus polie que
véritablement amicale.
    — Fort bien, bien quelle se croie mourante de temps à
autre.
    — Et votre demi-sœur, la princesse de Conti, que vous
admirez tant ?
    — Ah ! Je suis à ce jour plus ménager de mes
admirations ! dis-je, sentant quelle se déchirait, là aussi sans raison, à
cette petite pointe-là.
    — N’aviez-vous pas une cousine née Caumont parmi les
demoiselles de la reine ?
    — Si fait, Mademoiselle de Fonlebon. À ce que j’ai ouï,
elle se marie ces jours-ci avec un gentilhomme entre deux âges, aussi riche
qu’elle-même.
    — Le défunt roi ne vous avait-il pas promis de relever
pour vous le titre de duc d’Aumale, si vous épousiez la fille du duc
déchu ?
    — Il l’avait promis aussi à Bassompierre, dis-je avec
un sourire, et Bassompierre a aussi décliné cette offre. Pour moi, je ne
me propose pas de m’ensevelir dans le mariage avant d’être barbon.
    — Et pourquoi cela ?
    — J’ai conçu le projet de me vouer à un plus urgent
devoir.
    — Et ce devoir, quel est-il ?
    — Servir le roi.
    Bien que je n’eusse trahi aucune impatience à cette
inquisition, Madame de Lichtenberg dut sentir qu’en la poursuivant, elle irait
quelque peu dans l’excès et, opérant une diversion, posa d’un ton plus neutre
une ou deux questions dont les réponses, sans nul doute, l’intéressaient
beaucoup moins.
    — Votre charge de premier gentilhomme vous
oblige-t-elle à être présent tous les jours auprès du roi ?
    — Je vois le roi tous les jours, mais non tout le jour.
Je ne l’accompagne ni aux offices religieux, ni à la chasse, ce qui étant donné
le nombre d’heures que, par plaisir ou par contrainte, il consacre à ces
occupations, me laisse de grands loisirs.
    — Couchez-vous tous les soirs dans votre appartement du
Louvre ?
    — Je n’y suis pas tenu, mais je le fais.
    — J’imagine que vous avez des domestiques.
    — J’en ai deux.
    Cette réponse laconique faillant à la satisfaire, Madame de
Lichtenberg reprit :
    — Et en quelle capacité vous servent-ils ?
    — Mon page me sert à la fois de vas-y-dire, d’écuyer et
de laquais et j’ai aussi une chambrière qui tient mon ménage et fait ma
cuisine.
    Se voulant cette fois donner le temps de la réflexion, la Gräfin prit sur la petite table qui se dressait à nos genoux le carafon de vin et
remplit ma coupe. Mais me voyant les mains embarrassées par l’assiette et la
galette non entamée, elle ne fut pas sans entendre que ses questions ne
m’avaient pas laissé le loisir de manger et, prise de quelque apparence de
remords, elle posa la coupe sur la table et demeura silencieuse. Mais comme de
mon côté je m’abstenais de porter la galette à ma bouche, sachant bien que nous
venions de toucher à un abcès de quelque conséquence et qu’il allait falloir
débrider, notre commun silence devint tout soudain beaucoup plus lourd qu’elle
ne l’aurait désiré. Sa respiration se fit quelque peu haletante et ses boucles
d’oreilles frémirent de plus belle. Elle dut s’apercevoir de ce petit
tremblement, car elle porta la main du côté où je pouvais voir un des deux
bijoux et la posa sur lui comme pour calmer son émoi. Ce geste me toucha
infiniment et une impulsion soudaine et passionnée me prit qui me poussa à
l’aider à tenir ce scalpel qui allait trancher dans ma propre vie pour me
rapprocher de la sienne.
    — Madame, dis-je d’une voix basse et sérieuse, si vous
désirez me poser quelque question sur cette chambrière, de grâce, faites-le. Je
me sens trop engagé à conquérir votre amitié pour ne pas vous répondre
là-dessus à la franche marguerite.
    — Mon ami, je vous remercie, dit-elle en se
recomposant.
    Et elle reprit, après un nouveau silence, son débit se
précipitant quelque peu :
    — Quel âge a cette chambrière ?
    — Une vingtaine d’années.
    — Quand l’avez-vous engagée ?
    — Après votre départ pour Heidelberg.
    — Où couchent vos gens ?
    — Mon page sur un matelas dans un cabinet attenant à ma
chambre et ma chambrière sur un matelas dans la pièce à recevoir. Pendant la
journée,

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