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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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le dauphin), vous
vous amusez à des jeux d’enfant.
    — Mais, Monsieur de Souvré, dit Louis, ce sont des
soldats et non un jeu d’enfant !
    — Monsieur, reprit Monsieur de Souvré, vous serez
toujours en enfance !
    Eh quoi ! m’apensai-je, Monsieur de Souvré a-t-il donc
oublié ses maillots et enfances ? À quoi jouait donc, à huit ans et demi
(c’était l’âge qu’avait alors Louis), cet arbitre absolu du convenable et du
disconvenable ? Le fils d’un roi, à huit ans et demi, devrait-il déjà être
adulte ? Et doit-on lui faire honte, parce qu’il s’imagine que ses billes
sont des soldats ? N’est-ce pas tout justement le traiter en enfant, alors
même qu’on lui reproche de l’être ?
    Quoi de plus pertinent dès lors, de lui rétorquer, comme fit
Louis :
    — En enfance ? C’est vous qui m’y tenez !
    J’eus envie, je le confesse, de hucher à gorge
déployée : « Bien répondu, Louis ! » mais comme bien le
sait le lecteur, la Cour n’est pas un lieu où l’on peut dire le quart du
dixième de ce que l’on pense.
    Cette scène, comme j’ai dit, se passait sous le règne du feu
roi mais un an plus tard, sous la régence, l’enfantillage de Louis devint
l’Évangile, le dogme et le credo de la reine, du Conchine et de la Conchinasse,
des ministres, de la Cour et de Monsieur de Souvré, quoique chez lui ce fût
plutôt routine que méchantise. Or, rien n’irritait plus Louis que cette
antienne dont il percevait bien la source et les implications. Il en faisait de
vifs reproches à son gouverneur :
    — Vous ne m’aimez pas, aujourd’hui, Monsieur ! lui
disait-il. Vous m’avez dit que j’étais un enfant !
    Mais Monsieur de Souvré avait le cuir trop épais pour que ce
reproche pût le percer. Et il reprit encore cet éternel refrain, tant est que
Louis, en août 1612, si bien je m’en ramentois, décida de fouiller dans ses
coffres, d’y prendre ses petits jouets, et de les envoyer à Monsieur [32] par un de ses valets de chambre.
Toutefois, il en garda quelques-uns par-devers lui. Si bien que Monsieur de
Souvré eut l’occasion, quelques jours plus tard, de le reprendre encore,
quoique d’une façon plus douce.
    — Sire, ne voulez-vous pas quitter ces jeux
d’enfant ? Vous êtes déjà si grand !
    À quoi, pris de quelque repentance, non d’avoir joué, mais d’avoir
failli à son implicite promesse, Louis répondit :
    —  Moussu de Souvré, je le veux bien. Mais il
faut que je fasse quelque chose ! Dites-le-moi ! Je le ferai !
    Combien typique de Louis me parut cette requête, lui qui
pleurait quand il se réveillait tard le matin, tant il craignait qu’on le crût
paresseux. Et paresseux, il ne l’était pas assurément, mais de son naturel fort
actif et se voulant toujours occupé, point par des offices religieux
interminables, des sermons longuissimes, des confessions qui duraient une
heure, des « exhortations » à l’infini, ou du latin à qui, disait-il,
« il faisait la barbe et bien ras »…
    Des trois précepteurs qu’il eut en succession, d’Yveteaux,
Nicolas Lefèvre et Fleurance, le seul qui réussit à le captiver fut le dernier
qui lui enseignait les mathématiques et par elles, les éléments de
l’artillerie, lesquels le préparaient justement à ce qu’il aspirait à être de
tout son cœur : un roi-soldat comme son père.
    J’ai toujours pensé, à part moi, que si on eût vraiment
voulu le former à son futur métier et le tenir instruit d’une manière qui eût
convenu à son âge des affaires de l’État, avec ce qu’il y eût fallu de
connaissances historiques et géographiques sur la France et sur les royaumes
voisins, on eût fait de lui sans peine un bon élève, car à tout ce qui
l’intéressait vraiment, il se donnait à fond. Mais on était bien loin du
compte. Sous le prétexte qu’il n’était qu’un enfant, et un « enfant
enfantissime », on le puérilisait davantage en lui cachant tout, y compris
ce qui touchait de plus près à son avenir.
    J’en eus la preuve l’après-dînée du jour où j’appris, la
mort dans l’âme, que ma Gräfin était dolente et fiévreuse en sa couche.
Mais, avant que j’en fasse le récit, plaise au lecteur de me permettre de lui dire
ce qui se passa entre Louison et moi quand, au début de cette après-dînée, au
retour du logis de mon père, je lui baillai son congé, comme je m’y étais
engagé la veille.
    Blonde caillette qu’elle était,

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