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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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chevalier…
    — Nenni, nenni, dit La Surie, je ne bougerai pas non
plus.
    Le petit vas-y-dire avait fini son pain sans en perdre une
miette et son fromage, croûte comprise. Mais mon père lui donna encore un peu
de vin chaud pour faire descendre le tout, tandis que je rédigeais pour ma Gräfin le billet qu’il lui devait rapporter.
     
    « Madame,
     
    « Je suis hors de mes sens à l’idée de vous voir plus
vite que je ne l’aurais espéré. Plaise à vous de prévenir Herr Von Beck que je
me présenterai en carrosse devant votre porte cochère sur le coup de deux
heures. J’avoue que je regarde avec une furieuse jalousie ce petit vas-y-dire
qui, vous portant ce mot, aura l’inouï bonheur de vous voir quatre longues
heures avant moi.
    « Votre dévoué serviteur,
    Pierre-Emmanuel de
Siorac. »
     
    De gros flocons aveuglants tombaient d’un invisible ciel et
les rues étaient comme par magie quasi désertes, quand notre cocher Lachaise,
le nez bouché dans son manteau, me conduisit très à la prudence rue des
Bourbons, laquelle j’atteignis juste comme l’horloge de Saint-Germain-des-Prés
sonnait deux heures sur un ton sourd et feutré qui peut-être était dû à la
neige et peut-être à mon humeur, laquelle était comme recueillie et retirée du
monde.
    À peine le carrosse se fut-il immobilisé devant l’hôtel de
ma Gräfin que la porte cochère s’ouvrit, apparemment de soi, comme dans
les contes de fées. La neige tombait si forte et si drue que je sentis plus que
je ne vis Herr Von Beck me prendre par le bras dès que j’eus descendu les
degrés du marchepied, m’oyant lui dire d’une voix qui me parut étrangère à
moi-même de prendre soin du cocher et de mes chevaux. «  Gewiss !
Gewiss ! Herr Ritter [33]  », dit-il à mon oreille. Et
sans que j’eusse le moindrement du monde l’impression de marcher ni de monter,
je me retrouvai à l’étage noble, dépouillé par miracle de mon manteau et de mon
chapeau, seul en pourpoint devant une porte blanche moulurée d’or dont la
poignée de cuivre luisait dans la pénombre d’une façon amicale. Je toquai le
panneau d’un coup de mon index recourbé. « Entrez ! » dit une
voix assurément plus basse que la houle de sang qui battait mes tempes.
    Les rideaux de satin cramoisi obscurcissant les fenêtres, la
chambre n’était éclairée que par un feu mourant et un chandelier portant un
bouquet de bougies parfumées. Il se dressait sur un petit cabinet d’ébène qui
jouxtait un grand lit à baldaquin, étroitement fermé sur ses trois faces par
des courtines.
    — Est-ce vous, Chevalier ? dit la voix derrière
les courtines.
    — C’est moi, Madame.
    — Vous plaît-il de verrouiller la porte et de garnir à
nouveau le feu ?
    Ce que je fis, mais en sens inverse de son commandement,
plaçant deux bûches sur le feu et poussant ensuite le verrou lequel, bien que
monumental, glissa fort facilement et avec peu de bruit dans son logement, tant
sans doute il avait été bien graissé. La poignée qui le faisait mouvoir
représentait une tête de chien que ma main ne put que caresser au passage, sans
doute pour le remercier de veiller sur la dormeuse de ces lieux.
    Toutefois, Madame de Lichtenberg était fort éveillée. Car si
peu de bruit qu’eût fait le verrou, elle l’ouït et me dit de me venir mettre
dans la ruelle à côté du bouquet de bougies. Ce que je fis, mais n’y voyant pas
d’escabelle, je m’agenouillai sur des carreaux de velours qui se trouvaient là
et restai un assez long moment le nez sur les courtines closes sans percevoir
d’autre bruit que celui d’une respiration qui me parut quelque peu haletante.
    — Madame, dis-je à la fin, allez-vous demeurer
invisible et ne puis-je seulement vous baiser la main ?
    À cela elle ne répondit ni mot ni miette, peut-être
simplement parce qu’elle n’était pas sûre de sa voix, étant comme interdite par
ce que cette situation où nous nous trouvions comportait d’audacieux, même si
c’était elle qui avait rêvé cette audace dans les longues songeries de sa
courte maladie.
    Comme je m’armais de patience devant sa taciturnité, croyant
en deviner la cause et entendant bien que je n’avais pas intérêt à rien
précipiter, sa main surgit de dessous la courtine et se tendit vers moi. Je
m’en saisis et la baisai à plusieurs reprises, quoique avec douceur, tâchant de
maîtriser l’avidité de mes élans. Mais même cette douceur dut lui

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