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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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si on l’avait fraîchement lavée et ses paupières, ombrées d’un trait de
crayon. En revanche, ses joues ne portaient aucune trace de céruse, ni ses
lèvres de rouge, les unes et les autres laissant, pour ainsi dire, libre
carrière à mes initiatives.
    Bien que ce détail, par la préméditation qu’il paraissait
trahir, me redonnât quelque courage, la beauté de ma Gräfin dans
l’appareil où je la voyais ne laissait pas que de m’intimider. Car je me
doutais bien que pour une haute dame, il fallait à l’amour des approches, des
degrés et des cérémonies que ni Toinon ni Louison n’avaient jamais songé à
exiger de moi. Au risque que le lecteur me taxe de ridicule, je veux parler ici
à la franche marguerite. J’en étais à me poser un petit problème qui ne m’avait
jamais tabusté du temps de mes chambrières : si les choses prenaient la
tournure que j’espérais, à quel moment me devrais-je déshabiller, et
comment ?
    Madame de Lichtenberg dut lire dans mes yeux, en même temps
que mes admiratifs regards, mes doutes et mes appréhensions, car elle me dit
avec bonté :
    — Mon ami, ne demeurez pas debout, de grâce
asseyez-vous !
    — Madame, dis-je, il le faudrait pouvoir. Il n’y a pas
de siège dans la ruelle.
    — Comment ? dit-elle. N’étiez-vous donc pas assis,
quand ma courtine était close ?
    — J’étais à deux genoux, Madame, dis-je, comme il
convient à votre adorateur.
    — Mais, mon ami, vous ne pouvez toujours
m’adorer ! dit-elle avec un petit rire des plus ravissants. Il y faut à la
fin plus d’égalité ! Asseyez-vous sans façon sur mon lit !
    Ce que je fis et lui prenant de mon propre chef la main dans
un mouvement de gratitude que je ne pus maîtriser, je la couvris de baisers,
tant est que j’allais épuiser la brièveté de ce plaisir quand elle me retira
ses doigts et les passant derrière ma nuque, m’attira à elle avec assez de
force pour me faire perdre l’équilibre. Je tombai alors sur elle et quelle
merveilleuse chute ce fut ! J’y allai alors à bride avalée, ayant
maintenant tant de terrain où porter mes lèvres, des siennes au dos de ses
mignonnes oreilles et de ses oreilles à son cou.
    — Mon ami, me dit-elle enfin à mi-voix et une mi-voix
quelque peu tremblante, vous ne pouvez demeurer ainsi. Vous étoufferez dans
votre pourpoint. Allez donc vous défaire devant le feu. Et pendant que vous y
serez, ajoutez donc une bûche au foyer.
    J’admirai en me levant le sentiment des nuances et des
convenances qu’avait Madame de Lichtenberg. Elle avait dit
« défaire » et non « déshabiller ». Elle m’avait conseillé,
« pour ne point étouffer », doter mon « pourpoint »,
incluant par là sans nul doute ma vêture entière, y compris mon
haut-de-chausses. Et enfin elle m’avait envoyé, pour mener à bien cette
opération, devant le feu, c’est-à-dire à un endroit de la chambre où ses
regards ne pouvaient gêner ma gaucherie, les courtines de ce côté du baldaquin
demeurant closes.
    Le temps me parut long de cette dénudation, quelque hâte que
j’y misse et quand je revins me jeter dans les bras de ma Gräfin, je me
souviens que ma patience fut mise une dernière fois à rude épreuve quand, de
mes doigts tremblants, il me fallut déboutonner tous les boutons de nacre qui
défendaient sa robe de nuit. Après quoi, grâce aux dieux, mes lèvres furent
perdues pour toute conversation sérieuse. Ma pensée aussi. Je me trouvais dans
un monde de moi jusqu’ici ignoré, bien que j’en connusse tous les rites
physiques ; un monde où l’émotion transmue le plaisir en bonheur. Et
celui-là me parut à ce point dépasser la condition humaine qu’à peine l’avais-je
atteint que déjà je tremblais de le perdre.
     
    *
    * *
     
    Je quittai l’hôtel de la rue des Bourbons à la nuitée sans
me faire trop de scrupule de ce que Lachaise et l’attelage m’eussent attendu cinq
longues heures, Von Beck les ayant traités le mieux du monde. Le maggiordomo palatin m’expliqua, en me raccompagnant, qu’il aimait les animaux bien plus que
les hommes et lorsqu’il avait vu Lachaise à son arrivée s’inquiéter tant du
bien-être de ses hongres que de vouloir les bichonner lui-même au lieu d’en
laisser le soin aux valets d’écurie, il avait conçu de l’estime pour lui et
avait résolu de le traiter à l’égal de ses chevaux : à eux paille fraîche
et picotin, à lui chapon rôti et flacon de vin du

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