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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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paraître trop
forte, car je sentis sa main se raidir sous mes doigts et elle la retira.
    Ce retrait ne m’inquiéta pas outre mesure, car je sentais
bien qu’il obéissait à la décence, ou à la pudeur (de quelque nom qu’on veuille
désigner cette conduite) et non à la coquetterie, la rigueur et la gravité de
Madame de Lichtenberg étant tout à plein étrangères aux petits manèges de nos
Belles de cour. Cependant, comme le silence se poursuivait, je résolus de
presser un peu la Gräfin, ne fût-ce que pour l’aider à sortir de ce que
je croyais être les méandres de ses perplexités.
    — Madame, il m’est, semble-t-il, interdit de vous voir
et même de vous tenir la main. Pouvez-vous du moins me parler ?
    — Vous avez raison, mon ami, dit-elle d’une voix basse.
Je vais vous parler. Je dois vous parler. Mais je ne suis pas tout à fait prête
encore. Laissez-moi un peu de temps.
    — À Dieu ne plaise que je vous presse, Madame !
fis-je avec cette mauvaise foi particulière aux amants qui disent en toute
innocence le contraire de ce qu’ils font.
    Toutefois, le temps me dura fort, pour ce que je m’étonnais
quelle eût tant de difficultés à accomplir des décisions quelle avait dû
pourtant mille et mille fois méditer avant de m’appeler à son chevet. C’est du
moins ce que je me disais, étant si jeune encore et croyant les femmes perdues
dans des complexités, alors qu’il n’y a de compliqué en elles que les
situations dans lesquelles elles se débattent et qui sont toujours beaucoup
plus simples pour les hommes.
    — Mon ami, dit-elle enfin, me permettez-vous de vous
poser une question ?
    — Mais assurément, Madame, assurément ! Ne suis-je
pas tout à vous ?
    Elle se tut de nouveau tandis que je bouillais d’impatience.
Mais il n’y avait pas remède. Je sentais bien que je ne pouvais la presser deux
fois.
    — Mon ami, reprit-elle, ma question est celle-ci :
avez-vous mis de l’ordre dans votre vie ?
    C’est alors que j’entendis les raisons de ses atermoiements.
Elle craignait que cette inquisition m’offensât, pour ce qu’elle paraissait
mettre en doute le serment que je lui avais fait. Mais elle avait finalement
passé outre, étant très résolue à fonder notre avenir, non sur des promesses,
mais sur des certitudes.
    — Madame, dis-je avec une ironie tendre, faites-vous
par ces paroles allusion à Louison ?
    — À qui d’autre ? dit-elle un peu sèchement, ayant
ressenti l’ironie davantage que la tendresse.
    Je me décidai alors à quitter mon ton de légèreté française
et à lui parler avec le dernier sérieux, comme étant plus approprié à une
comtesse palatine.
    — Madame, dès le lendemain du jour où je vous en ai
fait la promesse, j’ai renvoyé Louison chez mon père et embauché un cuisinier.
    — Vous avez bien fait, Monsieur, dit-elle d’une voix
étouffée.
    J’ouïs alors un bruit qui ressemblait à un soupir. Qu’elle
se sentît immensément soulagée, je l’imaginai sans peine, d’autant qu’étant en
sa conscience si entière et si scrupuleuse, elle avait dû se tourmenter fort à
Heidelberg à l’idée, et de prendre un amant, et que cet amant eût la moitié de
son âge. À tout le moins voulait-elle qu’il fût fidèle, assurément par
naturelle et jalouse possession, mais surtout à ce que je crois, parce qu’il y
allait à ses yeux de la dignité de notre lien.
    — Mon ami, dit-elle, de grâce, ouvrez les courtines de
votre côté.
    — Ah, Madame ! dis-je en me levant, vous me
comblez ! Je ressentais jusque-là l’impression funeste de parler à une
parente derrière la grille d’un couvent.
    — Sauf qu’un lit n’est pas un parloir, dit-elle avec un
petit rire qui soulagea de part et d’autre la tension et avait aussi l’avantage
de nous ramener à des réalités plus humaines.
    Je saisis la courtine à ma gauche, laquelle était de satin
cramoisi comme les rideaux des fenêtres, et la tirant, j’en fis coulisser les
anneaux le long de leur tringle. À la lueur des candélabres. Madame de
Lichtenberg m’apparut alors, ses abondants cheveux noirs déployés sur l’oreiller
autour de sa tête et vêtue d’une robe de nuit de satin bleu pâle, garnie de
dentelles en point de Venise aux poignets et au col, et fermée sur le devant
par des boutons de nacre. Bien quelle fût en négligé, elle avait dû faire
quelque toilette, car j’observai que sa chevelure paraissait souple et floue,
comme

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