L'Enfant-Roi
Louvre.
Mon cuisinier Robin était un hardi ribaud des montagnes
d’Auvergne, point grand, mais musculeux, l’œil noir, le poil brun et le mollet
sec. À mon départir, comme je faisais toujours, je le garnis d’une épée et d’un
pistolet chargé et pourquoi je le remparai ainsi, je le vais dire : chose
honteuse et à peine crédible, au Louvre même s’introduisaient voleurs,
tire-laine et crocheteurs de serrures, comme on le vit bien deux ans plus tard
(en février 1613) quand de mauvais garçons qu’on n’attrapa jamais parvinrent à
pénétrer dans les appartements de la régente et lui dérobèrent une grande
partie de ses splendides vêtures.
Comme je savais que Robin était autant porté sur le cotillon
que sur la gueule, je lui recommandai à chaque fois en le quittant, de ne le
courir que chez moi, en mon petit cabinet. On dira que je n’attachais Robin à
mes lares domestiques qu’aux dépens des vertus ancillaires, mais celles des
chambrières du Louvre étant non moins vacillantes que celles de leurs
maîtresses, je n’y avais pas trop scrupule. Et d’autant que Robin traitait sa
belle avec la plus grande gentillesse, partageant avec elle son rôt et sa
repue. Or, la difficulté majeure au Louvre, sauf pour la régente, le roi et les
Grands, étant de se nourrir, j’imagine que pour la pauvrette, la perspective
d’une franche lippée, arrosée d’un flacon de vin de Cahors, devait ajouter
beaucoup aux charmes de mon Robin.
Il y a de prime un avantage et ensuite un désavantage à ce
que tombe la neige à Paris. Elle recouvre la croûte nauséabonde du sol d’un
capiton si épais et si virginal qu’elle en dérobe à la fois la vue et la
fétidité. Mais hélas, quand elle fond, elle forme avec cette même croûte une
infecte bouillie noire dont la puanteur est insufférable et dont la consistance
est si fatale aux chevaux que ce n’est pas miracle si les charrois circulent
peu alors dans la capitale, raréfiant du même coup l’arrivée des fagots et des
vivres.
Toutefois, en notre hôtel où règne la prévoyance huguenote
de mon père, il ne manque jamais de pain en notre huche ni de bois en notre
bûcher. Et dans la cheminée de la librairie un grand feu brûlait haut et clair
vers lequel j’étendis mes bottes l’une après l’autre.
Le visage joyeux, mon père et La Surie entrèrent comme
j’achevais de me dégourdir et me donnèrent, qui l’un, qui l’autre, une forte
brassée, tant ils étaient heureux de me voir et moi eux, alors même qu’il ne se
passait pas de semaine sans que je vinsse les visiter. Mariette nous vint
annoncer le déjeuner que mon père lui fit servir sur place pour profiter du
beau feu crépitant et Mariette ne faillit pas de demander des nouvelles de
« notre petit roi », lesquelles je lui peignis en rose, réservant
pour mon père et La Surie le vrai de la chanson.
J’achevais ce triste conte quand apparut, annoncé par Franz,
un petit vas-y-dire que je connaissais bien et mon cœur battit tant à le
reconnaître que je demeurai comme interdit.
— Eh bien, mon fils ! dit mon père. Lisez donc ce
billet ! Il requiert une réponse, si je ne m’abuse.
En même temps, il donna au petit vas-y-dire un sol, une
tranche de pain et un morceau de fromage et l’ayant garni de ces trésors, le
fit s’asseoir au cantou dans la cheminée.
Pour moi, je tirai du côté des verrières et je dépliai le poulet.
« Mon ami,
« Par l’effet des bonnes curations de Monsieur votre
père, à qui grâces en soient rendues, me voici quasiment rétablie. La fièvre
m’a quittée, mais je suis faible encore, et pour non point rattraper mal, je
garde la chambre et le lit, n’ayant qu’un grand feu pour me tenir compagnie. Si
vous consentiez à venir visiter ce jour sur les deux heures de l’après-dînée
une pauvre dolente, elle vous en aurait la plus grande gratitude.
« Votre dévouée servante,
Ulrike. »
— Monsieur mon père, dis-je en me retournant. Madame de
Lichtenberg vous remercie de vos bonnes curations.
— Eh bien, dit mon père avec un petit sourire, elle
s’est rebiscoulée plus vite encore que je n’aurais cru. Irez-vous la voir cette
après-dînée ?
— Elle m’y invite.
— Vous plaît-il de prendre le carrosse ? reprit-il
aussitôt, il y fait moins froid qu’à cheval et pour moi, je ne compte pas
bouger de céans.
— La grand merci à vous, Monsieur mon père, mais
peut-être le
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