L'Enfant-Roi
des demoiselles d’honneur qui voulurent bien, mon œil les
en priant, comprimer leurs vertugadins pour me laisser un passage. Tant est que
je parvins enfin à me placer assez avant pour voir à la fois, se faisant face,
et animés de sentiments bien différents, la mère et le fils.
S’étant enfin rassasiée, la reine donna à lécher ses doigts
à sa petite chienne Bichette, laquelle lapa de sa petite langue rose tout ce
quelle y trouva de confiture. Après quoi, d’un bond, elle sauta sans façon sur
les genoux de sa maîtresse et s’assit dans son giron. Elle était blanche,
frisottée, avec de petits yeux noirs, assurément plus brillants et plus vifs
que ceux de sa maîtresse, lesquels elle tournait nerveusement sur les nouveaux
venus avec un air d’extrême vigilance.
La reine posa sa main alourdie de bagues sur la tête de
Bichette et la caressa entre les deux oreilles en lui disant d’une voix douce
de se rassurer et qu’il n’y avait là que des amis. Cette douceur m’étonna, tant
la reine avait la réputation d’être froide et distante avec les bipèdes qui
l’entouraient.
Pendant tout ce temps, elle n’avait pas une seule fois
regardé le roi, lequel, les yeux fixés sur Bichette, ne la regardait pas non
plus.
À cet instant, Vaillant, que personne n’avait jusque-là
aperçu, tant parce qu’il était entré le dernier avec le nain qu’en raison de sa
petitesse – car il n’était guère plus grand que Bichette – s’arracha
à la laisse qui le tenait et, se faufilant au premier plan, se planta devant la
reine, poussa un aboiement bref et rauque à l’adresse de Bichette et s’assit
sur son arrière-train, l’œil fixé sur elle d’un air attentif, comme s’il
attendait une réponse.
— Voilà un joli petit chien, dit la reine d’un air
attendri. Qu’en pensez-vous, Catherine ? poursuivit-elle en se tournant
vers la duchesse de Guise.
— En effet, Votre Majesté, dit ma bonne marraine, il
est fort joli.
— Nous le pourrions peut-être marier avec Bichette, dit
la reine avec le dernier sérieux.
— Ce serait une heureuse idée, dit Madame de Guise qui,
lisant dans mon œil que Louis ne serait peut-être pas fort satisfait de céder à
sa mère son chien favori, reprit tout aussitôt : Du moins pour la taille,
car pour la race, il y faudrait voir de plus près.
— Nous verrons donc, dit la reine.
Et reportant ses yeux de Vaillant sur son fils, elle fixa
sur lui ses yeux pâles et inexpressifs et lui dit d’un ton rechigné :
— Comment vous en va, Monsieur mon fils ?
— Bien, Madame, je vous remercie.
— Héroard, dit la reine d’une voix morne et ennuyée,
comment va le roi ?
— Bien, Votre Majesté, dit Héroard avec un grand salut.
— Et comment vont vos études, Monsieur mon fils ?
— Assez bien, Madame, dit Louis.
— Lefèvre ?
— Assez bien, Madame, dit Lefèvre avec un grand salut.
— Il faut étudier, Monsieur, dit la reine qui n’avait jamais
réussi, quant à elle, à lire un livre jusqu’au bout.
— Oui, Madame, dit Louis.
La reine demeura un moment silencieuse, comme si elle ne se
rappelait plus à quel propos elle avait prié son fils de la venir visiter. Elle
fronçait sur ses yeux à fleur de tête ses sourcils d’un blond blanchâtre et
quasi invisibles et paraissait faire un vif effort pour fouiller sa mémoire.
Mais cet effort devait lui coûter, car en même temps, l’expression d’ennui
revêche que portait son visage parut s’accentuer.
— Monsieur mon fils, dit-elle en se redressant, comme
si elle avait enfin retrouvé dans sa confuse cervelle la raison de cet
entretien, Monsieur mon fils, la chose est simple : je vous veux marier.
Après notre entretien, Louis avait dû se remparer à l’avance
contre ce coup-là, car son visage demeura impassible.
— Oui, Madame, dit-il sur le ton du respect.
— Eh bien, reprit la reine, qui préférez-vous
épouser : l’Angleterre ou l’Espagne ?
Il y eut chez les hautes dames qui se trouvaient là et qui
toutes avaient pourtant une grande expérience des brouilleries de la Cour, une
sorte de surprise involontaire devant la peu ragoûtante hypocrisie de cette
question qui proposait à Louis un choix, alors qu’il était déjà fait. Et plus
d’une y dut voir, comme moi-même, un piège pour amener Louis à prononcer, voire
à trahir, une préférence qui ne pouvait être que politique, puisqu’il n’avait
jamais jeté l’œil sur
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