L'Enfant-Roi
Rhin.
De retour à mon logis du Champ Fleuri, je dormis comme
souche et me réveillai le lendemain sur le coup de onze heures, les membres
rompus et toutefois dispos, la tête toute pleine de ma violente amour et le
cœur irrassasié de la beauté de ma Gräfin. Je fus surpris en me levant
de ne point trouver ma chambre aussi glaciale que la veille et jetant un œil
par les verrières, je vis qu’il y avait eu pendant la nuit un redoux tel et si
brusque qu’il avait fondu la neige. J’en augurai que Louis partirait pour
Saint-Germain-en-Laye un peu après le dîner et expédiant moi-même ma repue en
quelques bouchées, je partis incontinent pour le Louvre avec La Barge.
J’eus bon nez, car à peine en les appartements du roi,
Monsieur de Souvré me dit que Louis me voulait dans son carrosse avec lui-même,
Héroard et Vitry. J’envoyai La Barge prévenir de mon départ mon père et Madame
de Lichtenberg, n’ayant qu’une crainte : qu’il ne retournât au Louvre
qu’après notre départ. Mais il y revint à temps pour monter dans le coche des
chambrières de la reine, lesquelles il connaissait quasiment toutes, leur
contant fleurette dans les occasions, mais sans trop de succès, étant encore si
jeune et si petit. Toutefois, les badineries de mon page les ébaudissaient et
elles le garnirent en chemin de plus de dragées et de massepain qu’il n’en
pouvait supporter.
Notre carrosse mit trois heures et demie à franchir la
distance qui sépare le Louvre de Saint-Germain-en-Laye, ce qui est prou, étant
donné que c’est une des meilleures routes du royaume et de celles que Sully fit
réparer en premier, pour ce qu’elle était la plus empruntée par Henri quand il
allait voir ses enfants, légitimes et illégitimes, à Saint-Germain. Mais, en
raison du redoux et la neige ayant inégalement fondu, elle était si boueuse et
si coupée d’ornières et par endroits de congères, que c’est tout juste si les
chevaux parvinrent quand et quand à prendre le petit trot. La plupart du temps,
ils marchaient au pas.
Bien qu’on nous eût garnis de couvertures, de bouillottes et
de chaufferettes, il faisait froid et humide dans le carrosse et aussi fort
sombre en raison d’énormes nuages noirs qui bouchaient le ciel jusqu’à
l’horizon. Louis, très inquiet de l’intempérie de Monsieur, s’acagnardait
dans son coin, triste et taciturne. Et comme son gouverneur, qui s’ennuyait
quand il ne parlait pas, commençait à égrener d’insipides souvenirs sur tous
les méchants hivers qu’il avait connus, Louis ferma les yeux et fit mine de
dormir, ce qui eut pour résultat de réduire Monsieur de Souvré au silence. Je
dis que Louis en fit le semblant, car il était impossible même de
s’ensommeiller, tant nous étions horriblement secoués et en danger à chaque
instant que le carrosse versât.
Endoloris, fourbus et malengroins, nous parvînmes à
Saint-Germain-en-Laye sur les cinq heures de l’après-midi, mais on eût dit
qu’il faisait déjà nuit, tant le ciel était noir et bas au-dessus de nos têtes.
Je fus assez heureux dès que j’eus quitté, à la suite du roi et de Monsieur de
Souvré, notre cahotant carrosse, pour retrouver La Barge, émergeant à peine des
cotillons des chambrières et je lui glissai incontinent quelques pécunes pour
graisser le poignet des gens de cuisine et de l’intendance, car si les premiers
gentilshommes de la Chambre étaient au château logés, rien, en revanche,
n’était prévu pour les chauffer et les nourrir, tant est qu’il fallait de la
rapidité, de l’entregent et des « épingles » pour se faire donner du
bois et des vivres par les valets.
Comme j’achevais, j’ouïs dire que le roi, sans même attendre
de se débotter, allait incontinent visiter Monsieur ; je mis toute
dignité de côté et courus après lui et le rattrapai, comme il pénétrait dans
les appartements de son cadet.
Le pauvre Nicolas avait alors quatre ans. Il était né avec
une tête énorme et un corps étique et rachitique, ce qui avait donné à penser
aux médecins qu’il ne ferait pas de vieux os. Il avait pourtant survécu
cahin-caha, plus souvent couché que debout, regardant le monde des
bien-portants s’agiter autour de lui avec de grands yeux doux et mélancoliques,
et apprenant toutefois à parler avec une rapidité surprenante. En fait, il
s’exprimait beaucoup mieux que le dauphin à son âge, ne bégayant pas,
prononçant toutes les consonnes et sa
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