L'Enfant-Roi

parole coulant de source.
    Il dormait quand nous advînmes dans son cabinet et se
réveillant au bruit que nous fîmes, il eut un brusque sursaut et entra aussitôt
en convulsions avec des mouvements saccadés des bras et des jambes, des yeux
révulsés et la bouche se tordant. Ce fut un spectacle à serrer le cœur, et en
particulier celui de Louis, car je le vis pâlir et sa lèvre inférieure
trembler. Toutefois, la crise ne dura pas et Nicolas, s’apaisant par degrés,
reconnut son aîné et le considéra avec un regard des plus touchants comme s’il
le remerciait d’être là. Il est vrai que, le sachant depuis sa naissance
condamné, la Cour faisait fort peu de cas de lui et la reine, moins que
personne.
    — Bonsoir, mon frère, dit Louis.
    — Bonsoir, mon petit Papa, dit Nicolas.
    C’est ainsi qu’il appelait le roi depuis l’assassinat
d’Henri IV.
    Et il ajouta :
    — Vous me faites trop d’honneur de prendre la peine de
me venir voir.
    Cette phrase, chez un enfant de quatre ans, me surprit par
sa correction, mais je n’eus pas le loisir de m’en étonner, car ses yeux se
révulsèrent, son visage grimaça et le docteur Héroard s’avançant, dit à mi-voix
à Louis :
    — Sire, plaise à vous de vous retirer, Monsieur vaavoir une autre crise.
    Louis pivota sur ses talons et sortit si rapidement des
appartements que nous eûmes peine à le suivre, en particulier Monsieur de
Souvré, que sa pesanteur fit bon dernier. Quant à moi, je rattrapai Louis comme
j’avais fait déjà et à peine m’étais-je mis à son niveau qu’aussitôt je
rétrogradai, car tout en marchant et quasi courant, Louis pleurait à grosses
larmes et comme toujours en ces occasions, tenant que les pleurs étaient
disconvenables à son royal rang, il ne voulait pas être vu. Raison pour
laquelle, dès qu’il fut retourné en ses appartements, il s’enferma dans son
cabinet d’études.
    Sur quoi, sachant que je ne le reverrais probablement point
avant son souper qu’il prenait sur le coup de six heures, je gagnai mes
appartements dans l’espoir que je pourrais souper moi-même, étant quasi mourant
de faim, n’ayant rien mangé ni bu depuis les quelques bouchées avalées à onze
heures. J’y trouvai, en effet, bon feu, table dressée et félicitant La Barge de
s’être montré si alerte et dégourdi à mon service, je l’invitai à partager ma
repue, ce qui le fit rougir de bonheur, bien qu’il mangeât du bout des dents,
l’estomac lui pesant encore des sucreries dont les chambrières l’avaient gavé.
    Fils d’un capitaine qu’Henri Quatrième avait anobli pour sa
vaillance pendant le siège d’Amiens, La Barge avait été recommandé par Sa
Majesté à la marquise de Guercheville qui me l’avait donné dans les conditions
que l’on sait. C’était un frisquet petit brun qui ne se ressentait en aucune
manière de la modeste extraction qui était la sienne, n’ayant rien en lui de
commun et bien le rebours, un visage aimable et fin, des manières polies, l’œil
aiguisé, une obligeance de tous les instants et une extrême vivacité par
laquelle il tâchait de compenser sa petite taille.
    De tout le temps qu’il passa avec moi, je ne lui trouvai
aucun des défauts que j’entendais au Louvre reprocher aux pages : il n’était
ni fripon, ni vicieux, ni paonnant. Et il n’hésitait pas, dans les
circonstances, à se salir les mains comme un valet pour garnir mon feu et ma
table. De mon côté, je le traitais davantage comme un petit frère que comme un
page et je tâchais aussi, quand j’en avais l’occasion, de corriger les
étroitesses et les préjugés qu’il devait à sa première éducation.
    Durant cette repue, La Barge resta quasi muet, pâtissant de
son estomac et moi-même, quoique mangeant avec bon appétit, je me tus aussi,
pour ce que je me sentais veuf déjà de ma Gräfin et aussi parce que je
voyais bien que si le petit Nicolas se mourait, sa mort, venant si peu de temps
après l’exil du chevalier de Vendôme, allait frapper très durement Louis.
    Je retournai dans les appartements du roi à sept heures et
demie, alors que déjà on le mettait au lit, ce qui était bien tôt pour le
coucher, mais Monsieur de Souvré avait jugé qu’il lui fallait un prompt repos
après ce lassant voyage. Louis me sembla avoir apaisé, ou refoulé, son gros
chagrin et à observer ses bâillements, il se serait endormi incontinent, si
Monsieur de Souvré, avec cette rage de faire