Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
de ma couche grincer et gémir
les énormes gonds – bien qu’on attentât quand et quand de les graisser,
mais il eût fallu, pour bien faire, dégonder les battants et s’attaquer à la
rouille – s’ouvrait sur un pont de bois fixe appelé « pont
dormant », lequel donnait non point sur un, mais sur deux ponts-levis. Ils
traversaient parallèlement le large, profond et croupissant fossé qui nous
séparait de Paris ; le plus étroit – à vrai dire simple passerelle
relevante – menait à une porte piétonne qu’on appelait le guichet parce
qu’on y pouvait, dans les occasions, filtrer les entrées, et le second, large
mais tout juste assez pour laisser passer un carrosse, conduisait à un passage
voûté qui débouchait dans la cour du Louvre.
    Le matin, et aussi quoiqu’en sens inverse le soir, il
n’était point question de faire passer par le guichet le flot du
domestique : il y eût fallu des heures. Il pénétrait donc dans le Louvre
par la Porte de Bourbon grande ouverte et au-delà du pont donnant, par
le grand pont-levis. Autant dire qu’on ne contrôlait personne : négligence
qui explique que d’audacieux tire-laine aient pu se mêler le matin à cette
foule de livrées moutonnantes, s’introduire dans le palais, faire main basse,
comme j’ai dit, sur la garde-robe de la reine, cacher leur picorée dans quelque
recoin et repartir le soir dans le flot descendant, faisant mine de porter,
comme les lavandières, de gros paquets de linge sale pour les approprier aux
lavoirs de la ville.
    Dans mon paresseux endormissou de l’aube, j’oyais, outre le
grincement de la Porte de Bourbon, le piétinement de centaines de pieds, quand
le domestique envahissait la cour pavée du Louvre et, quelque temps après, le
pas cadencé de la garde montante ébranler le pont de bois pour aller relever la
garde descendante. Et comme le pas des deux compagnies était le même, je ne
cherchais pas à deviner à l’ouïe en mon assoupissement lesquels, des habits
bleus à parements rouges, ou des habits rouges à parements bleus, étaient
montants et lesquels, descendants.
    En revanche, aussitôt que la marée du domestique, répandue
aux quatre coins de la cour, caquetante et clabaudante sans aucune retenue,
avait pénétré en le Louvre, chacun se hâtant vers sa chacunière, en courant
dans les galeries, en claquant les portes, en s’interpellant, l’énorme palais
devenait une si grouillante fourmilière et c’en était bien fait de mon
demi-sommeil… C’est alors que m’éveillant tout à fait, je pensais à Madame de
Lichtenberg avec un infini bonheur, et tout aussitôt avec un tourment né de ce
bonheur même. La raison en était que j’eusse voulu passer auprès d’elle toutes
les minutes de ma terrestre vie, alors que le service du roi au Louvre me
retenait loin d’elle de si longues heures et, quand la Cour séjournait à
Saint-Germain-en-Laye, d’interminables jours.
    Jetais, certes, toujours aussi ardent à servir mon petit roi
et dans la mesure de mes faibles moyens, toujours aussi désireux de le secourir
dans le désert de son existence. Mais je n’en avais que peu l’occasion car,
pour les raisons que j’ai dites, Louis passait parfois une semaine entière sans
m’adresser la parole. Tant est qu’étranger à sa personne, alors même que je me
tenais à ses côtés, et si loin en même temps de ma Gräfin, j’avais le
pénible sentiment que je vivais pour rien.
    À tout le moins à Paris, j’étais proche de Madame de
Lichtenberg, et à travers tant de murs et de murailles, je sentais sa présence.
Mais à Saint-Germain-en-Laye, les choses n’allaient pas si bien, car j’y étais
prisonnier de la Cour pour une durée que je ne pouvais ni raccourcir, ni même
prévoir, puisque d’autres que moi en décidaient. Cette incertitude me rongeant,
je tombais dans un appétit inimaginable de revoir Madame de Lichtenberg, lequel
me laissait la gorge sèche, les mains tremblantes et le cœur angoissé.
    Tout, sauf elle, n’était qu’ennui. Je la désirais avec une
telle impatience que je ne savais point comment j’allais faire de tout le jour
pour attraper la nuit, ni de toute la nuit pour attraper le jour suivant. Et
quand la Cour revenait enfin à Paris et que je pouvais, à brides avalées,
galoper jusqu’à la rue des Bourbons, je la trouvais, en apparence du moins, si
calme, si composée, si soucieuse des convenances, que n’en pouvant plus de me
passer la bride,

Weitere Kostenlose Bücher