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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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comme la veille à la Garenne du Pec [34] pour y courir les lapins. Mais il
doutait fort, la neige choyant dru, qu’on le lui permît ce matin. C’est du
moins ce que j’augurais à scruter son visage où se lisaient à la fois l’ennui
et la déception.
    Monsieur Lefèvre consentit enfin à replier dans sa mémoire,
bien rangés les uns derrière les autres, les prétérits et les participes passés
qu’il avait eu lui-même tant de mal à apprendre en ses jeunes années. Il se
leva, conseilla d’une voix douce au roi de profiter du mauvais temps pour
revoir ses verbes irréguliers et, après avoir fait à son royal élève un profond
salut, s’en alla en trottinant d’un pas menu, fort soulagé d’en avoir fini, ses
leçons lui demandant un effort que son âge et sa mauvaise santé lui rendaient
fort pénible.
    À ce moment, on entendit un grand bruit à la porte des
appartements royaux et entra alors, suivi d’une bonne douzaine de gentilshommes
aussi insolents que lui-même, le marquis d’Ancre, le torse redressé et la crête
haute.
    Assurément, il avait tout à fait le droit d’être là, étant
comme moi-même premier gentilhomme de la Chambre. Mais d’ordinaire, il usait
assez peu de ce privilège, se jugeant trop haut et trop proche de la régente,
dont il se targuait d’être le favori, pour avoir besoin de faire la cour à
Louis, qu’il affectait, bien au rebours, de tenir pour quantité négligeable. Sa
présence ne laissa donc pas de surprendre les officiers du roi qui se
trouvaient là, d’autant plus qu’en avançant, le marquis d’Ancre faisait fort le bravaccio, le poing sur la hanche et l’air hautain.
    Il est vrai qu’il était assez bel homme, étant grand, mince,
fort richement vêtu, le port noble et le geste élégant. Sa physionomie ne
manquait, d’ailleurs, pas de grâce. Il avait le front haut, le nez busqué et,
sous les sourcils arqués, des yeux verts fendus en amande, grands et brillants.
Ses yeux étaient ce qu’il y avait de plus séduisant en sa personne et aussi à
les considérer, de moins rassurant, car on discernait dans leurs prunelles je
ne sais quoi de faux et de trouble.
    Parvenu à trois pas du roi, il consentit à se découvrir et à
lui faire un profond salut et Louis lui ayant tendu sa main, mais d’une façon
assez froide, il voulut bien faire le simulacre d’y poser ses lèvres. Après
quoi, il se redressa de toute sa hauteur et dit d’une voix forte, avec un fort
accent italien :
    — Sire, la reine votre mère m’a chargé de vous annoncer
que Monsieur est mort.
    Louis, à cet instant, était debout devant sa petite table et
rangeait ses livres et son écritoire. Il perdit en un instant toute couleur,
trembla sur ses jambes, s’assit et bien que les larmes apparussent dans ses
yeux, il fit un grand effort pour se recomposer : il ne voulait pas
pleurer devant le marquis d’Ancre, lequel le regardait de très haut, guettant
sur son visage les signes de son affliction. Je dois confesser qu’à cet
instant, je ressentis au fond de mon cœur quelque haine pour ce personnage.
    Le roi se taisant toujours, le marquis d’Ancre lui fit un
second salut, plus arrogant encore que le premier et se retira, suivi de ses
chiens de cour qui le suivaient partout et lui léchaient les mains à la moindre
caresse.
    Dès qu’il fut hors, la consternation se lut sur tous les
visages, non point tant à cause de la mort de Nicolas – elle n’était que
trop certaine – mais en raison de la façon véritablement honteuse dont la
nouvelle en avait été apportée au roi. Personne, assurément, ne s’attendait à
ce que la reine vînt elle-même annoncer à son aîné la mort de son cadet et s’en
contrister avec lui. Elle n’aimait pas assez ses enfants pour se donner cette
peine. Mais elle eût pu choisir un messager convenant mieux à cette
mission : le grand chambellan, le duc de Bellegarde ou la duchesse de
Guise, et non pas ce parvenu arrogant que Louis méprisait tout en craignant son
pouvoir.
    Dès que le marquis d’Ancre eut tourné les talons, je vis
Monsieur de Souvré et le grand chambellan échanger un regard, un seul, et
aussitôt baisser les yeux, comme gênés par les pensées que chacun avait pu lire
dans les yeux de l’autre.
    Quant à Louis, il affecta d’aller quérir ses soldats de
plomb et de jouer avec eux, mais il restait si longtemps à les changer de place
qu’on voyait bien qu’il n’arrivait pas à détourner sa pensée

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