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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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vous rend d’ordinaire si charmant, il ne vous sera pas
interdit de me venir retrouver.
     
    *
    * *
     
    Le lendemain, je me présentai dans les appartements du roi
en laissant un bouton de mon pourpoint hors de son œillet. Ce n’était pas là
négligence, mais langage. Cela voulait dire que j’étais informé d’un fait dont je
voulais lui faire part. Toutefois, comme pendant un moment il ne jeta pas l’œil
sur moi ni ne m’adressa la parole, je ne laissais pas que de me demander s’il
avait aperçu mon signal, mais incontinent je me rassurai, n’ignorant pas
combien Louis observait toujours tout et tous, en faisant mine de ne rien voir.
Et en effet, au bout d’une heure, se tournant vers Monsieur de Souvré, il lui
dit qu’il désirait aller visiter Madame  : ce à quoi son gouverneur
acquiesçant aussitôt, Louis dit en se tournant vers moi :
    — Monsieur de Siorac, vous plairait-il de
m’accompagner ?
    — Sire, j’en serai ravi.
    Dès que je vis le roi passer par la Grande Galerie, je
pensai que le moment était venu de parler, mais Louis ne se tournant pas vers
moi, en levant les sourcils comme il faisait toujours pour m’y inviter, je
jetai un œil par-dessus mon épaule et je vis que nous étions suivis à deux
toises par Monsieur de Blainville, sans doute sur le commandement de Monsieur
de Souvré. Je conclus que le roi, ou bien craignait que Monsieur de Blainville
par légèreté, répétât mes propos, ou qu’il le soupçonnait d’être, comme sa
nourrice Doundoun, un espion de la reine. Et je me promis à l’avenir d’observer
davantage ce gentilhomme afin d’en avoir le cœur net.
    Madame comptait une année de moins que son frère
aîné, lequel avait alors dix ans et quatre mois. Assez grandette pour son âge
et tirant un peu sur le grassouillet, elle était fort avenante, le cheveu
blond, l’œil bleu, les joues rondes, deux fossettes au coin d’une bouche en
cerise et un air de grande douceur, lequel ne mentait pas, étant le reflet d’un
naturel facile et pliable. Louis l’avait toujours aimée, tout en ne laissant
pas de la taquiner et de jouer les grands frères avec elle. Et son affection
pour elle s’était fort accrue depuis qu’on lui avait enlevé le chevalier de
Vendôme pour l’envoyer à Malte, tant est qu’il allait la voir sinon tous les
jours, à tout le moins fort souvent. En le voyant entrer, Madame remit
sa poupée dans un petit berceau, se leva et lui fit avec grâce une profonde
révérence.
    — Sire, dit-elle, vous me faites beaucoup d’honneur de
me venir visiter.
    C’était là une phrase protocolaire cueillie sur les lèvres
du grand chambellan et apprise par cœur. Mais tandis que Madame la
récitait sur le ton chantonnant d’une écolière, ses joues rosirent et ses yeux
s’animèrent, exprimant mieux que par ces paroles convenues le vif plaisir
qu’elle prenait à voir son aîné s’occuper d’elle.
    Quant à Louis, il s’approcha de sa cadette avec beaucoup
d’élan, et la serrant à soi, il la baisa avec tant de chaleur que je me
demandai, une fois de plus, s’il était bien vrai qu’il n’aimât pas les filles.
    — Madame, dit le roi, comment vous en va par ces
froidures ?
    — Très bien, Sire, je vous remercie. Et vous-même,
Sire ?
    — On ne demande pas sa santé au roi, dit Louis en
affectant un air sévère. On prie le ciel qu’il se porte bien.
    — Sire, je prie le ciel pour que Votre Majesté se porte
bien, dit Madame dont l’œil naïf se demandait si c’était là un jeu ou un
piquant reproche.
    — Et comment va votre enfant, Madame ? poursuivit
le roi d’un ton plus doux.
    Et se penchant sur le berceau, il chatouilla la poupée sous
le menton.
    — Voyez, dit-il, elle rit !
    — Elle va assez bien, Sire, dit Madame, mais
comme elle a des vers, je pense que nous l’allons purger.
    — Ne la purgez pas trop souvent, dit Louis, que le seul
mot de « purge » hérissait. Madame, reprit-il, la dernière fois que
vous me vîntes visiter, vous vous souvenez que je vous ai montré mes arquebuses
et vous ai dit leur nom. Pourquoi ai-je fait cela à votre sentiment ?
    — Pour m’instruire, dit Madame avec une
révérence.
    — Eh bien, à s’teure je vais vous lire des vers pour
vous instruire.
    — Des vers, Sire ? dit Madame en ouvrant de grands
yeux.
    — Des vers de moi. Je veux dire des vers que j’ai faits.
De vrais vers avec des rimes.
    Et tirant un papier de l’emmanchure de son

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