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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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j’étais quasi muet, je balbutiais, j’étais dans le doute
qu’elle m’aimât vraiment. Et soit qu’elle fût touchée d’un amour aussi juvénile
et si peu retenue, soit qu’elle cédât à la contagion du désir, elle me laissait
la dévêtir. Je n’étais plus alors que folies, je la couvrais de mes
enchériments, sans jamais que m’effleurât le sentiment qu’ils me pussent un
jour rassasier. Bien le rebours, car dans le moment même où je la
possédais – si du moins ce verbe-là a un sens – elle me manquait
déjà.
    Pour ne point qu’on jasât dans la rue des Bourbons de mes
trop fréquentes visites, Madame de Lichtenberg m’avait demandé de n’y plus
venir à cheval, ni dans le carrosse armorié de mon père mais comme au temps de
mes leçons, dans un coche de louage. Et bien je me ramentois comment, le
vingt-six janvier, entrant dans sa cour en si humble équipage, je m’y trouvai
nez à nez avec Bassompierre qui sortait à peine de chez elle et se préparait à
monter dans le sien, lequel était un des plus beaux de Paris, à peine inférieur
à celui que la marquise d’Ancre s’était commandé pour le sacre de Louis. J’en
fus tout vergogné, et en outre jaloux assez de voir le plus beau seigneur de la
Cour reçu par ma belle, encore que je susse bien qu’ils étaient amis de longue
date et sans l’ombre d’un soupçon possible, ma Gräfin ayant trop de
hauteur pour se compter au nombre des alouettes de cour que ce miroir-là
attirait.
    — Eh quoi ! Chevalier ! dit Bassompierre,
sentant ma gêne et me voulant tabuster quelque peu, quoique sans méchantise, où
est votre splendide jument alezan ? Et où s’en est allé le galant carrosse
que Monsieur votre père a fait dorer sur tranche pour le sacre ?
Visitez-vous les dames si pauvrement ? Par le ciel, voilà qui est
étrange ! Un premier gentilhomme de la Chambre dans un coche de louage,
tiré par d’étiques rosses, lesquelles tomberaient de famine sur le pavé, si
elles n’étaient retenues par les brancards !
    — Monseigneur, dit le cocher, plaise à vous de ne point
morguer mes pauvres bêtes, qui ne sont pas trop grasses assurément, mais qui
mangent plus à leur faim que moi.
    — S’il en est ainsi, cocher ! dit Bassompierre en
lui jetant un écu, voilà de quoi doubler ce soir leurs rations et la tienne.
    À quoi je ne pus mieux faire en ma vergogne que d’ajouter un
écu au sien, ce qui n’arrangea guère mon humeur, mais fort celle du cocher.
    — À ce prix, Messeigneurs, dit-il en nous saluant
jusqu’au pavé, vous pourriez brocarder mes haridelles du matin au soir sans que
je dise « ouf ».
    — Or sus, cocher ! dit Bassompierre, cours donc
bailler foin et picotin à tes bêtes et pour vous, mon beau neveu, reprit-il en
mettant la botte sur le marchepied de son carrosse, je vous quitte la place. Je
me ferais scrupule de vous tenir la jambe plus avant, alors que je vous vois
piaffer d’impatience d’aller prendre votre leçon d’allemand…
    Quoi disant, il me donna en riant une forte brassée et se
jeta à la volée sur le capiton de soie de son carrosse, un valet, portant une
livrée couverte de galons d’or, fermant la porte sur lui avec une onction
d’évêque.
    Je trouvai ma Gräfin, non point hélas dans sa chambre
mais dans son petit cabinet en train d’étaler de la confiture sur une galette
devant un carafon de vin. Au diable ! m’apensai-je en lui baisant la main,
au diable cette sempiternelle collation ! Combien de minutes de son temps
va-t-elle encore me rogner ?
    — Mon ami, dit la Gräfin, comment se fait que
votre belle face porte un air si malengroin ? N’êtes-vous point dans votre
assiette ?
    — Ah ! Madame ! dis-je, vous me voyez dans
mes fureurs ! Bassompierre vient de me dauber sur mon coche de louage et
que vois-je en pénétrant ? Deux assiettes, dont une vide avec des
miettes ! Preuve que vous lui avez tartiné une de vos galettes !
    — Auriez-vous préféré que nous nous fussions occupés
autrement ? dit-elle avec un petit rire si gai et si musical qu’il m’eût
ravi, si mon humeur avait été meilleure. Allons, mon Pierre, reprit-elle,
asseyez-vous là et réfléchissez de grâce : vous n’avez pas lieu d’être
jaloux de Bassompierre, puisqu’il l’est de vous !
    — De moi ? L’est-il vraiment ? dis-je, stupéfait,
en prenant place non point sur la chaire qu’avait sans doute occupée
Bassompierre, mais aux pieds de ma

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