L'énigme des vampires
slaves.
En effet, « selon la foi chrétienne orthodoxe, l’âme ne
quitte le corps pour entrer dans l’autre monde que quarante jours après que le
cadavre ait été couché dans sa tombe. C’est pourquoi une cérémonie religieuse
se déroule sur la sépulture au quarantième jour après les obsèques. Jadis, on
pratiquait l’exhumation entre la troisième et la septième année qui suivait la
mise en terre et si la décomposition n’était pas complète, on enfonçait un
épieu dans le cœur du cadavre [58] ». Il n’est pas dit
que ces cadavres non décomposés soient des vampires, mais il n’en demeure pas
moins vrai que cette absence de corruption est considérée comme un signe de
malédiction. Voltaire lui-même, dans son Dictionnaire
philosophique , ne se fait point faute de signaler cette coutume
orientale : « Depuis longtemps les chrétiens du rite grec s’imaginent
que les corps des chrétiens du rite latin enterrés en Grèce ne pourrissent
point, parce qu’ils sont excommuniés. C’est précisément le contraire de nous
autres, chrétiens du rite latin. Nous croyons que les corps qui ne se
corrompent point sont marqués du sceau de la béatitude éternelle. Et dès qu’on
a payé cent mille écus à Rome pour leur faire donner un brevet de saints, nous
les adorons de l’adoration de dulie [59] . »
Une telle croyance, d’origine très ancienne mais encouragée,
semble-t-il, par les églises orthodoxes, justifie amplement l’abondance d’histoires
de vampires dans des régions qui, comme la Roumanie, ont des populations
pratiquant le rite byzantin. Mais il ne faudrait pas s’imaginer qu’une telle
croyance n’ait point été partagée par l’Occident latin. Un exemple fort
intéressant remonte à l’an 1031 : il s’agit d’un discours prononcé par l’évêque
de Cahors lors du deuxième concile de Limoges qui se tint cette année-là. Voici
ce qu’affirme le prélat : « Un chevalier de notre diocèse, ayant été
tué dans l’excommunication, je ne voulus pas céder aux prières de ses amis, qui
me suppliaient vivement de lui donner l’absolution ; je voulais en faire
un exemple, afin que les autres fussent touchés de crainte ; il fut
enterré par quelques gentilshommes, sans cérémonies ecclésiastiques et sans l’assistance
des prêtres, dans une église dédiée à saint Pierre. Le lendemain matin, on
trouva son corps hors de terre et jeté au loin de son tombeau, qui était
demeuré entier, et sans aucune marque qui prouvât qu’on y avait touché. Les gentilshommes
qui l’avaient enterré n’y trouvèrent que les linges où il avait été enveloppé ;
ils l’enterrèrent une seconde fois et couvrirent la fosse d’une énorme quantité
de terre et de pierres. Le lendemain, ils trouvèrent de nouveau le corps hors
du tombeau, sans qu’il parût qu’on y eût travaillé. La même chose arriva jusqu’à
cinq fois. Enfin, ils enterrèrent l’excommunié, comme ils purent, loin du
cimetière, dans une terre profane ; ce qui remplit les seigneurs voisins d’une
si grande terreur qu’ils vinrent tous demander la paix [60] . »
On peut évidemment faire la part de propagande et d’édification contenue dans
ce discours de l’évêque de Cahors : c’est une façon bien commode pour
faire rentrer dans le rang ceux des fidèles qui seraient tentés de s’écarter du
droit chemin tracé par l’Église. Mais il n’empêche qu’un tel « exemple »
n’a de chance de porter ses fruits que s’il s’appuie sur une tradition connue
de tous, une croyance en ce genre de phénomènes.
Car l’excommunié, le sorcier voué au diable, le suicidé, l’enfant
mort sans baptême, ne peuvent supporter d’être enterrés en un endroit sacré :
ils souillent la pureté de cette terre, et d’ailleurs, ils s’y sentent mal à l’aise,
d’où leur exhumation surnaturelle. Et là, le Christianisme n’a fait qu’intégrer
des traditions plus anciennes : « Dans la Grèce antique, à Rome, dans
plusieurs régions de la Sicile, on coupait la tête aux suicidés et on la
brûlait afin que l’âme, soupçonnée de résider dans la tête des disparus, ne
vînt pas importuner le monde des vivants. On enterrait aussi tous ceux qui s’étaient
donné volontairement la mort loin des endroits sacrés et de la terre bénite. Leur
sépulture, on la creusait au pied des gibets, où naissent les mandragores ;
dans les champs où d’ordinaire les sorcières
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