L'énigme des vampires
pardonnerait pas leur négligence. Alors, la femme dit à son mari :
« Il fait nuit. Entrons dans ce cimetière où on a enterré un mort ce matin.
Déterrons-le, coupons-le en morceaux. Nous en prendrons un que nous apporterons
à la Goulue. » Cette sinistre besogne ne semble guère les déranger outre
mesure : « Tous deux entrèrent dans le cimetière, déterrèrent le mort,
lui coupèrent la jambe gauche et rentrèrent à la maison… La Goulue se jeta sur
la jambe et la rongea jusqu’au dernier morceau. Cela fait, elle prit le couteau
de son père, cassa l’os et suça la moelle. » En somme, tout allait bien
dans le meilleur des mondes possible. Mais, la nuit, on entend une voix qui
crie : « Rends-moi ma jambe ! » Et le lendemain, le père, la
mère et la fille s’en vont travailler aux champs. Le père, ayant oublié son
couteau à la maison, demande à sa fille d’aller le lui chercher. La Goulue se
montre terrorisée, et ce n’est que sous la menace de son père qu’elle consent à
lui obéir. « Mais quand elle entra dans la maison, elle trouva, pendu à la
crémaillère de la cheminée, un mort auquel il manquait la jambe gauche. »
On imagine la suite : le mort demande à la Goulue de lui laver la jambe
droite, ce qu’elle fait. Mais il lui demande également de lui laver la jambe
gauche. La fille lui répond qu’il n’a pas de jambe gauche. Le mort lui révèle
alors que son père et sa mère l’ont déterré et pris sa jambe gauche pour la lui
donner. Et « le mort prit la Goulue, l’emporta dans la fosse, au cimetière,
et la mangea [67] . » La conclusion, qui
n’est pas énoncée dans le conte, paraît évidente : la Goulue devient
vampire à son tour parce qu’elle avait mangé la jambe d’un défunt qui, par
malheur pour elle, était déjà un vampire. Mais après tout, il faut bien reconnaître
que cette jeune fille avait des dispositions !…
Deux autres contes présentent une histoire de vampirisme
analogue. L’un, la Veillée de la Princesse morte ,
est un conte breton recueilli dans le Morbihan à la fin du siècle dernier [68] .
Il apparaît comme un raccourci d’un récit plus développé que l’on retrouve, avec
de nombreux détails, dans le deuxième conte, lorrain celui-là et recueilli dans
les Vosges à la même époque, la Fille Vampire [69] .
Le schéma est absolument identique. Il s’agit d’un roi et d’une
reine qui se désespèrent de ne pas avoir d’enfant. « Enfin, après avoir
prié tous les saints et les saintes du paradis, la reine eut une fille. Cependant,
on leur prédit que cette fille devait mourir à l’âge de quinze ans. » Ceci
est la version bretonne. Dans la version lorraine, le roi éprouve des ennuis
financiers à cause d’une guerre qu’il doit mener. Survient un homme vêtu de
noir – le Diable évidemment – qui lui propose de l’or. Seule condition :
« Promettez-moi de me donner dans vingt ans un objet que vous avez
maintenant dans votre ménage que vous ne savez pas et que vous ne connaissez
pas. » Or, un peu plus tard, la reine comprend que l’objet en question n’est
autre que la fille qu’elle porte dans son ventre, son mari ignorant qu’elle fût
enceinte. Il y a donc intervention diabolique dans la version lorraine, tandis
que le mystère plane dans la version bretonne où la fille, avant de mourir, dit
tout simplement à son père : « Je vais mourir, mais ne me refusez pas
ce que je vais vous demander : chaque nuit, vous mettrez un soldat pour
garder le tombeau où je serai enterrée. » Dans le conte lorrain, c’est le Diable
qui vient chercher la jeune fille, à l’âge de vingt ans et qui l’emmène chez
lui. Et c’est au Diable que cette fille dit :« Vous me ferez enterrer
dans la grande allée de la cathédrale et toutes les nuits, je veux un
factionnaire du régiment de mon père pour garder ma tombe. » De toute
façon, la jeune fille meurt, elle est enterrée comme elle l’a demandé, et un
soldat est commis pour garder son tombeau.
C’est alors que la tragédie commence : « Toutes
les nuits, on mettait un factionnaire qu’on ne revoyait jamais. Car tous les
jours, elle sortait de son tombeau à minuit moins le quart en disant : Où est-il ? Oh ! malheureux père, mon
factionnaire, que je passe ma colère ! Elle se jetait sur le
factionnaire et le dévorait, puis rentrait pour minuit dans son tombeau. »
Il est bien évident que cette princesse est une
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