L'énigme des vampires
d’épingles. »
Le témoignage de la nourrice, Jo Ilona, n’est pas moins édifiant :
« Elle battait les filles cruellement et Darvulia mettait les jeunes
servantes dans l’eau froide et les laissait toute la nuit. La comtesse
elle-même déposait dans leur main une clef ou une pièce d’argent rougie au feu.
À Sravar, Erzébeth a, devant son mari Férencz Nàdasdy, dévêtu une petite
parente de son mari, l’a enduite de miel et laissée un jour et une nuit dans le
jardin pour que les insectes et les fourmis la piquent. Elle, Jo Ilona, était
chargée de mettre entre les jambes des jeunes filles du papier huilé et de l’allumer…
Dorko coupait avec des ciseaux les veines des bras ; il y avait tant de
sang qu’il fallait jeter de la cendre autour du lit de la comtesse, et celle-ci
devait changer de robe et de manches. Dorko incisait aussi les plaies
boursouflées et Erzébeth arrachait avec des pinces la chair du corps des filles…
C’est de Darvulia qu’Erzébeth apprit les plus graves cruautés ; elles
étaient très intimes. Jo Ilona savait, et avait même vu, qu’Erzébeth a brûlé le
sexe de certaines filles avec la flamme d’un cierge. » Tout cela est
corroboré par Dorko : « La comtesse torturait les filles avec des
cuillères rougies au feu, et leur repassait la plante des pieds avec un fer
rouge. Leur arrachait la chair aux endroits les plus sensibles des seins et d’ailleurs
avec de petites pinces d’argent. Les mordait en les faisant amener au bord de
son lit quand elle était malade. En une seule semaine, cinq filles étaient
mortes. »
Le reste est à l’avenant et nous prouve que le marquis de Sade,
dans son délire somme toute parfaitement inoffensif, n’a rien inventé. Car ces
témoignages, quelles que soient les réserves qu’on peut émettre à leur propos, sont
terriblement accablants. Et, sans trop risquer de se tromper, il faut bien se résoudre
à accepter comme un minimum absolu le chiffre ahurissant de six cents jeunes filles sacrifiées par la comtesse
Erzébeth Bathory et ses complices. La comtesse fut évidemment reconnue coupable
par les juges qui se penchaient sur son cas. Mais la question se posait quant à
la peine qu’elle devait encourir. On sait que le roi Matthias était résolu à
condamner la comtesse à mort, quels que fussent ses liens avec l’illustre
famille des Bathory. Mais la famille Bathory, et le comte Gyorgy Thurzo le
premier, n’avaient aucune envie de salir leur nom en faisant procéder à l’exécution
publique d’une des plus grandes dames de l’Empire. Il y eut des négociations, des
compromis. On se dit qu’il valait mieux faire passer Erzébeth pour folle que
pour une criminelle. Le verdict tomba : les principaux complices, Jo Ilona,
Ficzko, Dorko et Katalin Beniezky furent condamnés à la décapitation et
rapidement exécutés. Quant à la comtesse de sang royal Erzébeth Bathory, elle
fut condamnée à être murée vive dans ses appartements privés du petit château
de Csejthe. Sous la surveillance des juges et du comte Thurzo, des maçons
murèrent donc les fenêtres et les portes de ses appartements, ne laissant qu’une
petite ouverture par laquelle on passerait tous les jours de l’eau et de la
nourriture. Erzébeth Bathory se laissa enfermer sans prononcer une parole. Elle
vécut quatre ans dans la solitude et l’obscurité. Aux dires de ceux qui la
virent dans son dernier sommeil, en dépit de son âge – très avancé pour l’époque
– de cinquante-quatre ans, sa beauté était inaltérée. Et l’on retrouva, dans
ses appartements, de nombreux grimoires, et surtout des invocations sataniques
dans lesquelles elle conjurait le Diable de faire mourir ses ennemis, le comte
Thurzo en tête, et de leur envoyer des démons sous forme de chats noirs. C’est ce qui était arrivé au curé de Csejthe lorsqu’il
avait accompagné les justiciers dans les souterrains du château. Coïncidence ?
Il est bien certain que la magie, et une magie des plus noires et des plus
sinistres, est la seule explication plausible de l’invraisemblable comportement
de la comtesse Erzébeth Bathory.
En fait, bien des questions se posent. Dans son invocation, faite
la veille de son arrestation, Erzébeth Bathory implorait l’aide des puissances
maléfiques, demandant particulièrement à Satan, qu’elle appelle le Suprême Commandeur des Chats , de lui envoyer
quatre-vingt-dix-neuf chats contre ses ennemis. Or, le curé de
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