L'énigme des vampires
Csejthe, auteur
du mémoire qu’il espérait bien transmettre un jour, était l’un de ses plus
ardents ennemis, bien qu’il fût réduit au silence par peur des représailles. D’après
le témoignage du prêtre, lors de la perquisition dans le château, il fut
assailli par six chats qui le griffèrent et le mordirent avant d’être chassés par
les hommes d’armes et de disparaître comme des fantômes. Hallucination ? Superstition ?
Rien n’est bien clair dans cette histoire pourtant réelle de la comtesse
Bathory.
Était-elle sorcière ? Incontestablement, ou du moins
magicienne, prêtresse d’une religion noire et rouge héritée de la nuit des temps. Il serait vain de prétendre qu’elle était folle. Il
serait stupide de ne voir en elle qu’une dépravée sexuelle assouvissant ses
désirs pervers sous le couvert de ce qu’elle croyait être son impunité. Certes,
la composante sexuelle, sadique et lesbienne, ne fait aucun doute dans son
comportement. Mais ce n’est pas suffisant pour expliquer de telles horreurs. Et
pourquoi n’a-t-elle sacrifié, ou fait sacrifier, à son culte sanguinaire que
des femmes, des filles vierges ? Le sang des vierges a donc tant de vertu
qu’il puisse procurer à ceux qui savent en profiter l’immortalité dans la beauté
et le printemps éternel ?
Ici, la relation entre le personnage d’Erzébeth Bathory, personnage
réel, rappelons-le, et le sinistre comte Dracula, personnage romanesque mais
surgi d’une longue tradition et intégré dans un ouvrage de fiction initiatique,
est absolument nette. Oui, la comtesse Bathory est une femme-vampire se
régénérant dans le sang des jeunes vierges qu’elle sacrifie en l’honneur d’une
mystérieuse et cruelle déesse des anciens jours. Elle mordait ses victimes, nous
dit-on. On n’ajoute pas qu’elle buvait leur sang, mais elle s’en inondait, ce
qui revient au même. Aurait-elle pu survivre autant d’années, dans toute sa
beauté, sans cette « thérapeutique » quelque peu spéciale ?
Erzébeth Bathory a emporté son secret dans la tombe, si tant
est qu’elle ait réellement une tombe. Car les vampires, c’est bien connu, ne
meurent jamais vraiment.
DEUXIÈME PARTIE - De l’histoire au mythe
I
-
LES MÉTAMORPHOSES DU VAMPIRE
Les personnages historiques de Vlad Tepes et d’Erzébeth Bathory,
le roman de Bram Stoker et le « Château des Carpates », incitent à
penser que le thème du vampire est spécifique d’une région située à l’est de l’Europe,
limitée par les Balkans, la mer Noire, les Carpates et les Alpes, correspondant
en gros au bassin du Danube, avec un point central en Roumanie. Et c’est effectivement
dans la tradition populaire roumaine qu’on découvre le plus d’allusions, le
plus de références à l’action néfaste prêtée à ces non-morts, ces êtres maudits
qui passent leur éternité à répandre le mal autour d’eux. Et, bien sûr, cette
tradition, encore vivace à l’heure actuelle, tente d’expliquer l’origine des vampires :
« Qui peut devenir vampire ? En Transylvanie, les
criminels, les sorciers, les mages, les bâtards, ceux qui sont nés coiffés ou
avec des dents, ceux qui n’ont pas reçu le sacrement du baptême et ceux qui ont
été excommuniés, le peuvent. Le septième fils d’un septième fils est condamné à
le devenir [57] . » La relation avec
un état diabolique est donc clairement exprimée : sont menacés de devenir
vampires (mais non de façon obligatoire) ceux qui se sont mis en marge de la
foi chrétienne, ceux qui pratiquent la sorcellerie – et qui sont donc déjà « vendus »
au Diable –, ceux qui naissent de façon irrégulière (les bâtards) ou qui
naissent avec des particularités (cheveux ou dents), ceux qui n’ont pas reçu le
baptême et qui n’appartiennent donc pas à la communauté chrétienne, enfin, ce
qui va de soi, ceux qui ont été exclus de cette communauté, c’est-à-dire les
excommuniés. On pourra faire remarquer que de telles croyances sont répandues
un peu partout, et qu’on explique ainsi, en Europe occidentale, les apparitions
de fantômes et autres spectres de la nuit. Mais les vampires ne sont pas des
fantômes « ordinaires » même s’ils appartiennent à la même race
maudite. Il y a quelque chose de plus dans la tradition roumaine, issu en
grande partie des particularismes du Christianisme orthodoxe d’origine
byzantine et marqué profondément par des influences
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