L'énigme des vampires
s’assemblaient, aux carrefours
également [61] . Par respect envers la
malédiction tragique, on étendait la croyance à la transformation aux personnes
non baptisées, aux apostats et aux excommuniés. Dans les pays chrétiens, la
tradition voulait que le Diable empêchât la corruption de leurs dépouilles, que
les théologiens assimilaient parfois à celles des sorciers [62] . »
Et c’est en application du même principe que les cendres des sorciers et
sorcières brûlés sur un bûcher étaient ensuite dispersées au vent. Et c’est
probablement pour des raisons identiques que certains crânes, retrouvés dans
les monuments mégalithiques, comportent de curieuses marques de trépanation :
on a cru longtemps qu’il s’agissait de pratiques chirurgicales ; en
réalité, ce sont des trous de l’âme , volontairement
effectués afin que l’âme du défunt puisse s’échapper dans l’Autre Monde, abandonnant
un corps qui devait se décomposer et retourner à la Mère Universelle, la
Terre-Mère, dont les tombeaux mégalithiques sont les sanctuaires privilégiés.
On a relevé sinon des cas de vampirisme, du moins d’étranges
exhumations de cadavres intacts dans toute l’Europe occidentale. Au XVII e siècle, en Grande-Bretagne, ce fut même une
véritable « épidémie » : on déterrait à la chaîne les morts « suspects »,
on leur coupait la tête ou on les brûlait. Il paraît même que de telles
opérations étaient efficaces : ces « non-morts » ne revenaient
plus hanter les vivants et les habitants des villages concernés ne
dépérissaient plus, victimes de cette mystérieuse « maladie de langueur »
qui frappe tous ceux qui sont mordus par les vampires. À la même époque, à
Paris, un cas semblable se serait présenté à propos d’un homme originaire d’Europe
orientale enterré dans un cimetière du ghetto juif, derrière l’Hôtel de Ville
actuel : « Là, dans un cimetière dont la terre était réputée
putréfiante, au point qu’un corps ne pouvait se garder intact plus de quelques
jours, l’ensevelissement d’un homme d’Europe orientale fut aussitôt suivi de
morts mystérieuses. Chaque matin, dans le voisinage, on trouvait dans leur lit
des enfants exsangues portant au cou des marques de succion. Sur les on-dit
accusateurs qui se répandirent dans le ghetto, on finit par ouvrir la fosse de
l’étranger et on trouva son corps intact baignant dans du sang frais. On s’empressa
d’aller jeter le vampire à la Seine qui en débarrassa le quartier et sans doute
toute la ville. [63] » Voilà un exemple
entre mille des histoires qu’on racontait un peu partout en Europe, immédiatement
après la fin des procès de sorcellerie qui, on le sait, cessèrent sur ordre de
Louis XIV en France.
Il faut cependant se méfier de tout ce qui est colporté par
la mémoire urbaine. Les villes ne sont qu’un lieu de rassemblement pour des
gens venus de tous les horizons et qui transportent avec eux les traditions les
plus diverses ayant des origines toujours suspectes. La tradition rurale
populaire est beaucoup plus fiable en ce sens qu’elle se perpétue dans un
milieu plus fermé, moins sensible aux influences extérieures, et de toute façon,
elle remonte généralement très loin dans le temps, en vertu d’un esprit « conservateur »
qui ne fait jamais défaut, ce dont on ne doit certes pas se plaindre puisqu’il
nous permet de reconstituer, du moins conjecturalement, les grandes lignes d’un
système mental supposé être celui des origines de la pensée humaine. C’est
pourquoi il importe d’explorer en détail cette tradition populaire orale
recueillie de tous temps en milieu rural et d’en faire une analyse qualitative
en fonction du sujet abordé [64] .
Or, cette tradition populaire occidentale ,
pour peu qu’on veuille la décrypter, contient de très nombreux éléments
relatifs aux vampires, mais sous une forme parfois très différente de celle
sous laquelle ils apparaissent dans la mémoire collective roumaine. Très
souvent, d’ailleurs, le vampire se confond avec le loup-garou, personnage
considérable qui, dès la plus haute antiquité, fait son entrée dans l’imaginaire
collectif des peuples installés en Scandinavie et sur la mer Tyrrhénienne, aussi
bien que sur toute la frange atlantique. Voici, par exemple, une légende
normande, en laquelle se mêlent des notions imputables aux Celtes et aux
Vikings : « Certains curés
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