L'ennemi de Dieu
conclut-il admiratif.
— Guenièvre
et Lancelot ?
— Sois
pas obtus, Derfel ! Qui diable a parlé de Guenièvre ? Tu es vraiment
indécent avec ta soif de commérages. Je parle de Cerdic et de Lancelot,
naturellement. Il y a eu un jeu diplomatique très subtil. Arthur combat tout
seul, Aelle abandonne la majeure partie de ses terres, Lancelot met la main sur
un royaume qui lui convient beaucoup mieux, Cerdic double ses forces et fait de
Lancelot, plutôt que d’Arthur, son voisin sur la côte. Fort bien joué !
Comme les méchants prospèrent ! Un régal ! »
Il sourit et
se retourna alors que Nimue sortait de l’un des deux tunnels qui passaient sous
les gradins. Elle se précipita dans les arènes d’un air tout excité. Son œil d’or,
qui effrayait tant les Saxons, scintillait sous le soleil du matin.
« Derfel !
s’exclama-t-elle, qu’est-ce que vous faites avec le sang du taureau ?
— Ne l’embrouille
pas davantage, fit Merlin, il est encore moins dégourdi que de coutume, ce
matin.
— Dans
les réunions des adeptes de Mithra, fit-elle tout agitée, qu’est-ce que vous
faites du sang ?
— Rien.
— Ils le
mélangent à l’avoine et à la graisse, dit Merlin, et ils en font des puddings !
— Dis-le-moi !
insista Nimue.
— C’est
un secret, fis-je, embarrassé.
— Un
secret ? siffla Merlin. Un secret ! « Ô grand Mithra !
commença-t-il d’une voix claironnante dont les gradins renvoyèrent l’écho,
grand Mithra, dont l’épée est aiguisée sur les cimes des montagnes, dont la
pointe de lance a été forgée dans les profondeurs océanes et dont le bouclier
fait pâlir les étoiles les plus lumineuses, entends-nous. » Dois-je
continuer, mon cher garçon ? » Il venait de réciter l’invocation par
laquelle nous commencions nos réunions et qui était censée faire partie de nos
rituels secrets. Il me tourna le dos avec mépris. « Ils ont une fosse, ma
chère Nimue, expliqua-t-il, couverte d’une grille de fer. La malheureuse bête
se vide de sa vie dans la fosse et ils plongent tous leur épée dans le sang,
puis s’enivrent en croyant avoir accompli quelque chose d’important.
— C’est
bien ce que je pensais, dit Nimue en souriant. Il n’y a pas de fosse.
— Oh, ma
chère fille ! fit Merlin d’un ton admiratif. Ma chère fille ! Au
travail. »
Il s’éloigna à
grands pas. « Où allez-vous ? » lui lançai-je, mais il se
contenta de faire un signe de la main et continua à marcher en priant mes
lanciers désœuvrés de le suivre. Je le suivis quand même et il ne fit rien pour
m’arrêter. Nous traversâmes le tunnel pour déboucher dans l’une des rues
étranges des grands bâtiments avant d’obliquer à l’ouest vers la forteresse qui
formait le bastion nord-ouest des remparts de la ville. Juste à côté du fort,
adossé à la muraille, s’élevait un temple.
Je suivis
Merlin à l’intérieur.
C’était un
magnifique bâtiment : long, sombre, étroit et tout en hauteur, avec un
plafond peint supporté par deux rangées de sept piliers. Le sanctuaire servait
manifestement d’entrepôt maintenant, car des balles de laine et des tas de cuir
occupaient toute une aile. Mais, apparemment, le temple n’avait pas entièrement
perdu sa vocation d’origine, car une statue de Mithra coiffé de son étrange
chapeau pendant trônait à une extrémité tandis que des statues plus petites
étaient disposées devant les piliers cannelés. J’imaginais que les fidèles
étaient les descendants des colons romains qui avaient choisi de rester en Bretagne
quand les légions s’étaient retirées. Et il semblait qu’elles eussent abandonné
la plupart de leurs divinités ancestrales, y compris Mithra, parce que les
menues offrandes de fleurs ou de nourriture et les chandelles de jonc étaient
toutes regroupées autour de trois effigies. Deux étaient des dieux romains
sculptés avec élégance, mais la troisième idole était bretonne : un morceau
de pierre lisse en forme de phallus avec, à l’extrémité, un visage de brute aux
yeux grands ouverts. C’était aussi la seule statue maculée de sang séché tandis
que la seule offrande placée devant la statue de Mithra était l’épée saxonne
que Sagramor y avait laissée pour remercier le dieu de lui avoir rendu Malla. C’était
une journée ensoleillée, mais la lumière ne pénétrait à l’intérieur qu’à
travers une brèche ouverte dans la toiture de tuiles.
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