L'ennemi de Dieu
observa Meurig, que Cerdic ait fait la paix pour abandonner des terres.
— Pas
plus que nous ne sommes entrés en guerre pour en céder, répondit Arthur avec
colère.
— Pardonnez-moi,
mais je croyais, insista Meurig alors que son obstination provoquait de vagues
murmures à travers la salle, je croyais, si je vous ai bien compris, que vous
ne pouviez poursuivre la guerre ? Que nous étions trop loin de chez nous ?
Et maintenant, pour une bande de terre, vous mettriez notre vie en danger ?
J’espère bien ne pas être un sot, fit-il en gloussant pour bien montrer qu’il
plaisantait, mais je ne comprends pas bien pourquoi nous risquons la seule
chose que nous ne pouvons nous permettre d’abandonner.
— Seigneur
Prince, expliqua Arthur d’un ton posé, sans doute sommes-nous faibles, mais si
nous laissons paraître notre faiblesse, nous mourrons ici. Il n’est pas
question de nous rendre ce matin chez Cerdic pour lui céder un seul sillon de
plus. Nous allons lui présenter nos exigences.
— Et s’il
refuse ? demanda Meurig indigné.
— Alors
nous aurons une retraite difficile », admit Arthur d’une voix calme. Il
jeta un coup d’œil par la fenêtre qui donnait sur la cour. « Il semble que
nos ennemis nous attendent. Allons-nous les rejoindre ? »
Merlin chassa
le chat de ses genoux et s’aida de son bâton pour se relever. « Ça vous
ennuie si je ne viens pas ? demanda-t-il. Je suis trop vieux pour
supporter une journée de négociations, avec son lot de rodomontades et de
colères. » Il brossa sa robe pour en faire tomber les poils du chat, puis
se retourna subitement vers Dinas et Lavaine. « Depuis quand, demanda-t-il
d’un air de reproche, des druides portent l’épée ou servent des rois chrétiens ?
— Depuis
que nous l’avons décidé ainsi tous les deux », répliqua Dinas. Les
jumeaux, qui étaient presque aussi grands que Merlin et beaucoup plus robustes,
le défièrent de leur regard impassible.
« Qui
vous a faits druides ? reprit Merlin.
— La même
force qui a fait de toi un druide, répondit Lavaine.
— Et de
quelle force s’agit-il ? » Les jumeaux ne trouvant rien à répondre,
Merlin se moqua d’eux. « Au moins savez-vous pondre des œufs de grive. J’imagine
que c’est le genre de tours qui impressionne les chrétiens. Vous changez aussi
leur vin en sang et leur pain en chair ?
— Nous
avons notre magie à nous, expliqua Dinas, ils ont la leur. Ce n’est plus la
Bretagne d’antan. C’est une Bretagne nouvelle, et qui a ses nouveaux dieux.
Nous mêlons leur magie à l’ancienne. Vous auriez des choses à apprendre de
nous, Seigneur Merlin. »
Merlin cracha,
histoire de leur montrer ce qu’il pensait de ce conseil puis, sans ajouter un
mot, quitta la salle. Dinas et Lavaine ne se laissèrent pas démonter par son
hostilité. Ils avaient un extraordinaire aplomb.
Nous suivîmes
Arthur dans la grande salle à colonnes où, comme l’avait prédit Merlin, ce ne
fut que rodomontades et poses, grands cris et propos enjôleurs. Au départ, c’est
Aelle et Cerdic qui firent le plus de raffut, et Arthur joua bien souvent les
médiateurs, même s’il ne put empêcher Cerdic de s’enrichir en terres aux dépens
d’Aelle. Il resta maître de Londres et gagna la vallée de la Tamise ainsi que
de grandes étendues de terre au nord du fleuve. Aelle vit son royaume amputé d’un
quart de son territoire. Mais s’il conserva tout de même un royaume, c’est à
Arthur qu’il le dut. Loin de l’en remercier, il sortit de la salle sitôt les
tractations terminées et quitta Londres le jour même tel un gros sanglier
blessé qui regagne sa tanière en traînant la patte.
C’est au
milieu de l’après-midi qu’Aelle se retira. Se servant de moi comme interprète,
Arthur aborda alors la question des terres belges dont Cerdic s’était emparé l’année
précédente, et il continua à exiger leur restitution bien après que nous eûmes
tous abandonné la partie. Il ne proféra aucune menace, mais se contenta de
renouveler inlassablement son exigence au point que Culhwch finit par s’endormir.
Agricola bâillait et, pour ma part, j’étais las d’essuyer les rejets répétés de
Cerdic. Mais Arthur persévérait. Il avait le sentiment que Cerdic avait besoin
de temps pour consolider les nouvelles terres qu’il avait prises à Aelle, et il
menaçait de ne lui laisser aucun répit tant qu’il n’aurait pas rendu les
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