L'ennemi de Dieu
terres
arrosées. Cerdic ripostait en menaçant de nous combattre ici même, à Londres,
mais Arthur finit par avouer qu’il s’était assuré de l’aide d’Aelle dans cette
éventualité, et Cerdic savait qu’il ne pouvait battre nos deux armées.
Il faisait
presque nuit lorsque Cerdic finit par céder. Il ne céda pas franchement, mais
déclara de mauvaise grâce qu’il allait en discuter avec son Conseil. Nous tirâmes
donc Culhwch de son sommeil pour sortir dans la cour, puis, empruntant une petite
porte, nous nous dirigeâmes vers un quai pour regarder couler les eaux noires
de la Tamise. La plupart d’entre nous n’avions pas grand-chose à dire, même si
Meurig sermonna Arthur, lui reprochant d’avoir perdu du temps avec des
exigences impossibles. Mais Arthur refusant de discuter, le prince finit par se
taire. Sagramor s’assit dos au mur, ne cessant de passer une pierre à aiguiser
sur la lame de son épée. Lancelot et les druides de Silurie firent bande à part :
trois hommes grands et beaux drapés dans leur dignité. Dinas fixait les arbres
qui disparaissaient dans la nuit, de l’autre côté du fleuve, tandis que son
frère me lançait de longs regards songeurs.
Nous attendîmes
une heure. Puis Cerdic nous rejoignit enfin sur la rive : « Dis ceci
à Arthur, me déclara-t-il sans préambule. Je n’ai confiance en aucun de vous et
il n’est aucun de vous que je porte dans mon cœur. Il n’est rien que je désire
plus que de vous tuer. Mais j’abandonnerai la terre belge à une condition. Que
Lancelot devienne le roi de ce pays. Non pas un vassal, mais un roi, avec tous
les pouvoirs d’un royaume indépendant. »
Je fixai les
yeux bleu-gris du Saxon. Sa condition me laissa tellement pantois que je ne dis
rien, pas même pour lui signifier que j’avais bien compris. Tout était
tellement clair subitement. Lancelot avait passé cet accord avec le Saxon et
Cerdic avait caché leur accord secret derrière un après-midi entier de refus
méprisants. Je n’en avais aucune preuve, mais j’en étais sûr. Et quand je
détournai les yeux de Cerdic j’aperçus le regard interrogateur de Lancelot. Il
ne parlait pas le saxon mais il savait parfaitement ce que Cerdic venait de
dire.
« Dis-le-lui ! »
ordonna Cerdic.
Je traduisis
pour Arthur. Agricola et Sagramor crachèrent de dégoût et Culhwch ne put
réprimer un bref éclat de rire plein de fiel, mais Arthur se contenta de me
regarder dans les yeux l’espace de quelques secondes solennelles. Puis il hocha
la tête d’un air las :
« Accordé.
— Vous
devrez quitter cette ville à l’aube, reprit Cerdic d’un ton cassant.
— Nous
partirons dans deux jours, répondis-je sans prendre la peine de consulter
Arthur.
— Accepté »,
fit Cerdic avant de tourner les talons. Ainsi fut conclue la paix avec les
Saïs.
*
Ce n’était pas
la paix que désirait Arthur. Il avait cru pouvoir affaiblir les Saxons au point
que leurs navires cesseraient d’arriver de l’autre rive de la mer de Germanie.
D’ici un an ou deux, avait-il espéré, nous pourrions bouter les autres hors de
la Bretagne. Mais c’était la paix.
« Le
destin est inexorable », me déclara Merlin le lendemain matin. Je le
trouvai au centre de l’amphithéâtre romain, où il promenait lentement les yeux
sur les gradins circulaires. Il avait réquisitionné quatre de mes lanciers qui
s’étaient assis au bord des arènes et le regardaient faire, sans trop savoir
quelle était leur tâche.
« Vous
êtes encore à la recherche du dernier Trésor ? lui demandai-je.
— J’aime
cet endroit, reprit-il sans répondre à ma question et en continuant à soumettre
les arènes à une longue inspection. Je l’aime.
— Je
croyais que vous détestiez les Romains.
— Moi ?
Haïr les Romains ? fit-il en feignant l’indignation. Si tu savais, Derfel,
comme je prie le ciel que mon enseignement ne soit pas transmis à la postérité
à travers le crible déchiré que vous appelez un cerveau. J’aime toute l’humanité !
déclara-t-il avec emphase, et même les Romains sont parfaitement acceptables s’ils
restent à Rome. Je t’ai dit que j’étais allé à Rome autrefois, n’est-ce pas ?
Ça grouille de prêtres et de gitons. Sansum s’y sentirait tout à fait à l’aise.
Non, Derfel, les Romains ont eu le tort de venir ici et de tout saccager, mais
ils n’ont pas fait que du mauvais.
— Ils
nous ont donné cela, fis-je, en
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