L'ennemi de Dieu
Le temple était voué à l’obscurité
car Mithra était né dans une grotte et c’est dans l’obscurité d’une grotte que
nous l’adorions.
Merlin frappa
les dalles avec son bâton, puis finit par repérer un endroit à l’extrémité de
la nef, juste sous la statue de Mithra. « C’est là que vous plongeriez vos
lances, Derfel ? » me demanda-t-il.
Je m’engageai
dans l’aile latérale où étaient entreposés les cuirs et les balles de laine. « Ici,
dis-je, désignant une fosse peu profonde à demi dissimulée par l’un des tas.
— Ne sois
pas idiot ! aboya Merlin. Quelqu’un l’aura creusée plus tard. Tu crois
vraiment cacher les secrets de ta dérisoire religion ? » Il frappa de
nouveau le dallage à côté de la statue, puis essaya un autre endroit à quelques
pas de là et en conclut manifestement que le son était différent. Il tapa une
troisième fois au pied de la statue et donna à mes lanciers l’ordre de creuser.
Le sacrilège me fit frémir.
« Elle ne
devrait pas être ici, Seigneur, protestai-je en montrant Nimue.
— Un mot
de plus, Derfel, et je te transforme en hérisson boiteux. Soulevez les pierres !
ordonna-t-il à mes hommes. Servez-vous de vos lances comme leviers, imbéciles.
Allez, au travail ! »
Je m’assis à
côté de l’idole bretonne, fermai les yeux et priai Mithra de me pardonner ce
sacrilège. Puis je priai le ciel que Ceinwyn fût sauve et que le bébé qu’elle
portait dans son ventre fût encore en vie, et je priais encore pour mon enfant
à naître lorsque la porte du temple s’ouvrit en grinçant. Entendant le bruit de
bottes sur les pierres, je rouvris les yeux et tournai la tête. Cerdic était là.
Il était venu
avec une vingtaine de lanciers, son interprète et, chose plus surprenante
encore, Dinas et Lavaine.
Je me levai d’un
bond et effleurai les os sertis dans la poignée d’Hywelbane pour qu’ils me
portent chance tandis que le roi saxon avançait d’un pas lent dans la nef. « C’est
ma ville, annonça Cerdic d’une voix douce, et tout ce qui se trouve dans ses
murs est à moi. » Il fixa un instant Merlin et Nimue, puis me dévisagea. « Demande-leur
de s’expliquer, ordonna-t-il.
— Dis à
cet imbécile d’aller se plonger la tête dans un baquet », aboya Merlin. Il
parlait assez bien saxon, mais il préférait faire croire le contraire.
« Voici
son interprète, Seigneur, fis-je pour avertir Merlin en désignant l’homme posté
à côté de Cerdic.
— Alors
qu’il dise à son roi de se fourrer la tête dans un baquet », reprit
Merlin.
L’interprète
fit docilement son métier, et un dangereux sourire parcourut le visage de
Cerdic.
« Seigneur
Roi, dis-je, essayant de réparer les dégâts de Merlin, mon seigneur Merlin
voudrait rendre à ce temple son état d’autrefois. »
Cerdic médita
ma réponse tout en examinant les travaux en cours. Mes quatre lanciers avaient
retiré les dalles, révélant une masse compacte de sable et de graviers, et ils
s’attaquaient maintenant à ces gravats qui recouvraient une petite plate-forme
de poutres enduites de poix. Le roi jeta un coup d’œil dans la fosse et fit
signe à mes quatre lanciers de continuer leur besogne. « Mais si vous
trouvez de l’or, me dit-il, il est à moi. » Je commençai à traduire pour
Merlin, mais Cerdic m’interrompit d’un geste de la main. « Il parle notre
langue, dit-il en regardant Merlin. C’est eux qui me l’ont dit »,
ajouta-t-il dans un mouvement de tête en direction de Dinas et de Lavaine.
Je lançai un
coup d’œil aux funestes jumeaux puis me retournai vers Cerdic : « Vous
avez de bien étranges compagnons, Seigneur Roi.
— Pas
plus étranges que les tiens », me répondit-il en fixant l’œil d’or de
Nimue. Elle le retira d’une pichenette et lui offrit l’horrible spectacle de l’orbite
vide et ratatinée, mais la menace laissa Cerdic apparemment impassible, et il
me pria de lui dire ce que je savais des différents dieux du temple. Je lui
répondis du mieux que je pus, mais il était clair que cela ne l’intéressait pas
vraiment. Il m’interrompit pour regarder à nouveau Merlin : « Où est
votre Chaudron, Merlin ? »
Merlin
foudroya du regard les jumeaux siluriens, puis cracha sur le sol : « Caché ! »
Cerdic ne
parut pas s’étonner de cette réponse. Il longea la fosse de plus en plus
profonde et ramassa l’épée saxonne que Sagramor avait offerte à
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