L'ennemi de Dieu
montrant du doigt les douze rangées de gradins
et le balcon surélevé d’où les seigneurs romains regardaient les arènes.
— Oh !
Épargne-moi les fastidieuses considérations d’Arthur sur les routes et les
tribunaux, les ponts et les constructions. » Il lâcha ce dernier mot comme
un crachat. « Des constructions ! Des structures ! Qu’est-ce que
la structure du droit, des routes et des forts sinon un harnais ? Les
Romains nous ont apprivoisés, Derfel. Ils ont fait de nous des contribuables et
ils ont été si malins qu’ils nous ont fait croire que c’était une faveur !
Nous déambulions jadis avec les Dieux, nous étions un peuple libre, puis nous
avons passé nos têtes d’idiots sous le joug des Romains et sommes devenus des
contribuables.
— Mais
alors, repris-je avec patience, qu’est-ce que les Romains ont fait de si bien ?
— Jadis,
répondit-il avec un sourire carnassier, ils bourraient ces arènes de chrétiens,
Derfel, puis ils lâchaient les chiens sur eux. À Rome, vois-tu, ils faisaient
les choses comme il faut. Ils utilisaient des lions. Mais à la longue les lions
ont perdu.
— J’ai vu
l’image d’un lion, fis-je fièrement.
— Oh, je
suis vraiment fasciné, répondit Merlin sans se donner la peine de réprimer un
bâillement. Que ne m’en dis-tu davantage ? » M’ayant ainsi cloué le bec,
il sourit. « J’ai vu un vrai lion une fois. Une créature insignifiante,
tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Je soupçonne qu’il était mal nourri.
Peut-être lui donnait-on à manger des adeptes de Mithra plutôt que des chrétiens ?
C’était à Rome, bien sûr. Je lui ai donné un petit coup de bâton et il s’est
contenté de bâiller en se grattant pour se débarrasser d’une puce. J’ai vu
aussi un crocodile là-bas, sauf qu’il était mort.
— Qu’est-ce
qu’un crocodile ?
— Un
animal du genre Lancelot.
— Roi des
Belges, fis-je avec aigreur.
— Habile,
n’est-ce pas ? observa Merlin en souriant. Il détestait la Silurie, et qui
peut lui en faire le reproche ? Tous ces gens gris dans leurs mornes
vallées. Vraiment pas un endroit pour Lancelot, mais il se plaira en terre belge.
Le soleil brille là-bas, c’est plein de domaines romains et, surtout, ce n’est
pas loin de sa chère amie, Guenièvre.
— C’est
si important pour lui ?
— Ne sois
pas sournois, Derfel.
— Je ne
sais pas ce que ça veut dire.
— Cela
veut dire, mon guerrier ignorant, que Lancelot n’en fait qu’à sa guise avec
Arthur. Il prend ce qu’il veut et fait ce qu’il veut et rien ne l’arrête parce
qu’Arthur souffre de cette chose ridicule qu’on appelle un sentiment de
culpabilité. En cela, il est très chrétien. Tu comprends, toi, une religion,
qui te donne le sentiment d’être coupable ? Quelle idée absurde, mais
Arthur ferait un excellent chrétien. Il avait fait le serment de sauver Benoïc
et comme il n’y est pas parvenu il a le sentiment d’avoir lâché Lancelot. Cela
lui pèse et Lancelot n’en fait qu’à sa guise.
— Avec
Guenièvre également ? »
Son allusion à
l’amitié de Lancelot et de Guenièvre m’avait intrigué, avec tout ce qu’elle
charriait d’allusions salaces.
« Je n’explique
jamais ce que je ne puis savoir, répondit Merlin avec hauteur. Mais je
soupçonne que Guenièvre est fatiguée d’Arthur, et pourquoi pas ? C’est une
créature intelligente et elle apprécie la compagnie des autres personnes
raffinées. Or, quel que soit l’amour que nous lui portons, Arthur n’est pas
compliqué. Ses désirs sont d’une simplicité si pathétique : loi, justice,
ordre et propreté. Il souhaite réellement le bonheur de tous et c’est
absolument impossible. Guenièvre est loin d’être aussi simple. Toi si,
naturellement. »
J’ignorai sa
pique et demandai :
« Mais
alors, que veut Guenièvre ?
— Qu’Arthur
soit le roi de Dumnonie, bien entendu, et qu’elle soit le vrai maître de la
Bretagne en régnant à travers lui. Mais en attendant, Derfel, elle se distraira
du mieux qu’elle peut. » Une idée lui traversa l’esprit et il prit un air
malicieux. « Si Lancelot devient roi des Belges, dit-il joyeusement, tu
verras que Guenièvre décidera que, tout compte fait, elle n’a pas envie de son
palais de Lindinis. Elle trouvera un endroit plus proche de Venta. Tu verras bien
si je me trompe. » Il gloussa rien que d’y penser. « Ils ont tous
deux été si malins,
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