L'ennemi de Dieu
d’un ton léger.
— Moi ?
Aller en Durnovarie ? Me retrouver face à cette sorcière de Guenièvre ? »
Elle fit le signe de la croix, plongea la main dans un bol d’eau puis se signa
à nouveau. « Plutôt aller en Enfer et voir Satan lui-même que de voir
cette sorcière d’Isis ! » Elle était sur le point de cracher pour
conjurer le mal, puis se ravisa et fit plutôt un autre signe de croix. « Sais-tu
ce qu’exigent les rites d’Isis ? me demanda-t-elle avec colère.
— Non,
Dame.
— Des
saletés, Derfel, des saletés ! Isis est la déesse écarlate ! La
putain de Babylone. C’est la foi du diable, Derfel. Ils couchent ensemble,
homme et femme. » Cette abominable pensée la fit frémir. « Des
immondices.
— Les
hommes ne sont pas autorisés dans leur temple, Dame, fis-je en prenant la
défense de Guenièvre, de même qu’ils ne sont pas admis dans la salle de vos
femmes.
— Pas
autorisés ! ricana Morgane. Ils viennent de nuit, imbécile, et c’est nus
qu’ils adorent leur immonde déesse. Les hommes et les femmes, ensemble, suant
comme des porcs ! Tu crois que je ne suis pas au courant, moi, l’ancienne
pécheresse ? Tu crois mieux connaître que moi la foi des païens ? C’est
moi qui te le dis, Derfel, ils couchent ensemble dans leur sueur : la
femme nue et l’homme nu. Isis et Osiris, la femme et l’homme, et la femme donne
la vie à l’homme. Et comment crois-tu que ça se passe, triple buse ? Par l’acte
immonde de la fornication, voilà comment ! » Elle plongea de nouveau
ses doigts dans la coupe et fit le signe de la croix, laissant une perle d’eau
bénite sur le front de son masque. « Ignorant, sot, que tu es crédule ! »
J’arrêtai là
la dispute. Les différentes confessions passaient leur temps à s’insulter
ainsi. Nombre de païens accusaient les chrétiens de semblables pratiques dans
leurs « fêtes de l’amour », et beaucoup, dans les campagnes, étaient
persuadés que les païens enlevaient des enfants pour les tuer et les manger. « Arthur
aussi est un sot de faire confiance à Guenièvre, gronda Morgane en me lançant
un regard furieux de son œil unique. Que vaux-tu donc de moi, Derfel, si ce n’est
de l’argent ?
— Je
voudrais savoir, Dame, ce qui s’est passé la nuit où le Chaudron a disparu. »
Elle s’esclaffa.
Un écho de son rire d’autrefois, de ce ricanement cruel annonciateur de
troubles sur le Tor. « Misérable petit sot qui me fait perdre mon temps. »
Et, à ces mots, elle se retourna vers sa table de travail pour se remettre à
faire des marques sur ses tailles ou dans les marges de ses rouleaux de
parchemin.
« Encore
là, imbécile ? fit-elle au bout d’un moment.
— Encore
là, Dame. »
Elle pivota
sur son tabouret. « Pourquoi veux-tu savoir ? C’est cette sale petite
putain de la colline qui t’envoie ? » Elle fit un geste de la main en
direction du Tor. Je préférai mentir :
« C’est
Merlin qui me l’a demandé. Il est curieux du passé, mais il a la mémoire qui
flanche.
— Elle va
bientôt s’égarer en Enfer, fit-elle d’un ton vengeur, puis elle médita ma
question avant d’y répondre dans un haussement d’épaules : Je vais te dire
ce qui s’est passé cette nuit, dit-elle enfin, et je ne te le dirai qu’une fois.
Quand je te l’aurai dit, ne me pose plus jamais de questions.
— Une
fois suffit. Dame. »
Elle se leva
et boitilla jusqu’à la fenêtre d’où elle pouvait voir le Tor. « Le
Seigneur Dieu Tout-Puissant, commença-t-elle, le seul vrai Dieu, notre Père à
tous, a envoyé le feu du ciel. J’étais là et je sais donc ce qui s’est passé.
Il a envoyé la foudre et la foudre s’est abattue sur le chaume, qui s’est
embrasé. Je hurlais, car j’avais de bonnes raisons de craindre le feu. Je
connais le feu. Je suis fille du feu. Le feu a ruiné ma vie, mais c’était un
autre feu. Celui-ci était le feu purificateur de Dieu, le feu qui a consumé mon
péché. Du toit de chaume, le feu s’est propagé à la tour et a tout brûlé. J’ai
vu ce feu et j’aurais même péri si le bienheureux saint Sansum n’était venu me
chercher pour me mettre en sécurité. » Elle se signa puis se tourna vers
moi. « Voilà, imbécile, voilà ce qui s’est passé. »
Ainsi donc,
Sansum était sur le Tor cette nuit-là ? C’était intéressant, mais je m’abstins
de toute remarque et me contentai d’observer d’une voix
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