L'ennemi de Dieu
au cœur d’Arthur »,
fit-elle d’un air amusé.
Le jardin
grouillait d’hommes avinés. Ils avaient attendu trop longtemps le banquet :
maintenant à bouche-que-veux-tu, ils se renouvelaient leurs promesses fleuries
d’amitié éternelle. Certaines embrassades avaient tourné au pugilat pour le
plus grand malheur des parterres fleuris. Les chœurs avaient depuis longtemps
renoncé à leurs chants solennels et certaines choristes buvaient avec les
guerriers. Tous les hommes n’étaient pas éméchés, bien sûr, mais les hôtes
restés sobres s’étaient repliés sur la terrasse afin de protéger les femmes,
parmi lesquelles se trouvaient nombre des servantes de Guenièvre et Lunete, mon
premier et lointain amour. Guenièvre se tenait aussi sur la terrasse, d’où elle
regardait horrifiée son jardin saccagé. Mais c’était de sa faute, car elle
avait servi un hydromel particulièrement fort, et il y avait au moins cinquante
hommes à chahuter dans le jardin. Certains avaient arraché des tiges de fleurs
pour se livrer à des parodies de combat à l’épée. Au moins un homme avait le
visage en sang tandis qu’un autre s’efforçait d’arracher une dent branlante et
traitait de tous les noms le Frère de Bretagne assermenté qui l’avait frappé.
Un autre encore avait vomi sur la table ronde.
J’aidai
Ceinwyn à se frayer un chemin sous les arcades. À nos pieds, la Confrérie de
Bretagne jurait, échangeait des coups et s’abrutissait à grand renfort d’hydromel.
Igraine ne
voudra jamais me croire. Mais c’est ainsi qu’est née la Confrérie de Bretagne,
que les ignorants persistent à appeler la Table Ronde.
*
J’aimerais
pouvoir écrire que le nouvel esprit de paix engendré par le serment de la Table
Ronde a propagé le bonheur à travers le royaume, mais les petites gens
ignoraient pour la plupart ce qui s’était passé. Les simples mortels n’en
savaient rien et se fichaient pas mal de ce que faisaient leurs seigneurs tant
que leurs champs et leurs familles n’avaient pas à en souffrir. Quant à Arthur,
naturellement, il faisait grand cas du serment. Comme disait Ceinwyn, pour un
homme qui disait haïr tous les serments, il en était exceptionnellement friand.
Mais au moins
le serment fut-il respecté dans ces années-là et la Bretagne prospéra en ce
temps de paix. Aelle et Cerdic se disputèrent le contrôle de Llœgyr, et leur
conflit meurtrier épargna au reste de la Bretagne leurs lances saxonnes. Dans l’ouest
du pays, les rois irlandais ne se lassaient pas de tester leurs lances contre
les boucliers bretons, mais ces conflits demeuraient limités et épars, et la
plupart d’entre nous connûmes une longue période de paix. Plutôt que de s’inquiéter
de l’ennemi, le Conseil de Mordred, dont je faisais partie, avait tout le
loisir de s’occuper des lois, des impôts et des conflits de voisinage.
Arthur
dirigeait le Conseil, mais il n’occupa jamais le siège placé au bout de la
table, parce que le trône était réservé au roi et resta vide jusqu’au jour où
Mordred eut atteint la maturité. Merlin était officiellement le premier
conseiller du roi, mais il n’allait jamais à Durnovarie et ne disait pas
grand-chose les rares fois où le Conseil se réunissait à Lindinis. Une
demi-douzaine de conseillers étaient des guerriers, mais la plupart ne venaient
jamais non plus. Agravain disait que tout cela l’ennuyait, tandis que Sagramor préférait
maintenir la paix sur la frontière saxonne. Les autres conseillers étaient deux
bardes qui savaient les lois et les généalogies de la Bretagne, deux magistrats,
un marchand et deux évêques chrétiens. L’un d’eux était un noble vieillard qui
répondait au nom d’Emrys. C’est lui qui avait succédé à Bedwin à Durnovarie. L’autre
était Sansum.
Sansum avait
conspiré contre Arthur. Peu doutaient qu’il aurait dû perdre la tête le jour où
la conjuration avait été démasquée, mais cette âme servile s’en était tirée
tant bien que mal. Il n’avait jamais su lire ni écrire, mais il était malin et
ses ambitions ne connaissaient point de bornes. Il était originaire du Gwent,
où son père était tanneur. Il s’était élevé en devenant l’un des prêtres de
Tewdric, mais c’est en mariant Arthur et Guenièvre, après leur fuite de Caer
Sws, qu’il était passé sur le devant de la scène. Pour le récompenser de ce
service, il avait été fait évêque de Dumnonie et
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