L'ennemi de Dieu
aumônier de Mordred, puis
avait perdu cet honneur après avoir comploté avec Nabur et Melwas. Il était
censé croupir dans l’obscurité en sa qualité de gardien du sanctuaire de la
Sainte-Épine, mais Sansum ne supportait pas l’obscurité. Il avait épargné à
Lancelot l’humiliation d’un rejet par les adeptes de Mithra et, ce faisant,
acquis la gratitude circonspecte de Guenièvre. Mais ni son amitié avec Lancelot
ni sa trêve avec Guenièvre n’auraient suffi à lui valoir une place au Conseil
de Dumnonie.
Il s’était
hissé à ce haut rang par un mariage, en épousant la sœur aînée d’Arthur,
Morgane : Morgane, la prêtresse de Merlin, l’adepte des Mystères, Morgane
la païenne. Par ce mariage, Sansum avait recouvert toutes les traces de son
ancienne disgrâce pour se hisser au faîte du pouvoir en Dumnonie. Nommé au
Conseil, sacré évêque de Lindinis, il était redevenu l’aumônier de Mordred même
si, par bonheur, son aversion pour le jeune roi le tenait loin du palais de
Lindinis. Son autorité s’exerçait sur toutes les églises du nord de la
Dumnonie, tout comme celle d’Emrys sur les églises du sud. Pour Sansum, ce fut
un mariage étincelant, pour nous ce fut une immense surprise.
La cérémonie
eut lieu dans l’église de la Sainte-Épine, à Ynys Wydryn. Arthur et Guenièvre
séjournèrent à Lindinis et c’est tous ensemble que nous prîmes la route du
sanctuaire en ce grand jour. Tout commença par le baptême de Morgane dans les
eaux bordées de roseaux de l’étang d’Issa. Elle avait abandonné son masque d’or
avec son image du dieu cornu Cernunnos pour un nouveau masque orné d’une croix
chrétienne et, pour bien marquer l’allégresse du jour, elle avait troqué son habituelle
robe noire contre une robe blanche. Arthur avait pleuré de joie en voyant sa sœur
s’avancer en clopinant dans l’étang, où Sansum, avec une évidente tendresse, la
soutint par le dos en l’abaissant dans l’eau. Un chœur chanta des alléluias.
Nous attendîmes le temps que Morgane se sèche et passe une nouvelle robe
blanche, puis nous la regardâmes boitiller jusqu’à l’autel où l’évêque Emrys
les déclara mari et femme.
Je crois bien
que je n’aurais pas été plus étonné si Merlin lui-même avait abandonné les
anciens dieux pour la Croix. Pour Sansum, naturellement, c’était un double
triomphe, car en épousant la sœur d’Arthur il ne gagnait pas seulement un siège
au Conseil royal : sa conversion au christianisme portait un coup dur aux
païens. Certains hommes l’accusèrent avec aigreur d’opportunisme, mais en toute
équité je dois avouer qu’il aimait Morgane, tout calculateur qu’il était, et qu’elle,
elle l’adorait. C’étaient deux êtres intelligents unis par leurs rancœurs. Sansum
avait toujours cru qu’il méritait un plus haut rang, tandis que Morgane, qui
avait été belle autrefois, souffrait de l’incendie qui avait déformé son corps
et fait de son visage une horreur. Elle en voulait aussi à Nimue, car elle
avait été jadis la prêtresse la plus écoutée de Merlin. Mais la jeune Nimue
avait usurpé cette place et c’est pour se venger qu’elle devint alors la plus
fervente des chrétiennes. Elle mit autant d’acharnement à proclamer le Christ
qu’elle en avait mis jadis au service des anciens dieux. Et, après son mariage,
elle mit toute sa formidable volonté au service de la campagne missionnaire de
Sansum.
Merlin ne
devait pas assister au mariage, mais il s’en amusa. « Elle est seule, me
confia-t-il, quand il apprit la nouvelle, et le Seigneur des Souris a au moins
le mérite de lui tenir compagnie. Tu ne penses quand même pas qu’ils s’envoient
en l’air ? Grands Dieux, Derfel, si la pauvre Morgane se dévêtait devant
Sansum, il vomirait ! Qui plus est, il ne sait pas copuler. Pas avec les
femmes, en tout cas. »
Le mariage ne
devait pas attendrir Morgane. En Sansum, elle trouva un homme tout prêt à se
laisser guider par ses sagaces conseils et dont elle pouvait servir les
ambitions avec la dernière énergie, mais pour le reste du monde elle devait
rester la femme rusée et implacable au masque d’or imposant. Elle vivait encore
à Ynys Wydryn, mais elle avait quitté le Tor de Merlin pour la maison de l’évêque
d’où elle pouvait voir le Tor incendié où habitait Nimue, son ennemie.
Désormais
privée de Merlin, Nimue était convaincue que Morgane avait volé les Trésors
Weitere Kostenlose Bücher