L'ennemi de Dieu
main. Et quand
il sera mort, je ferai voile avec ma princesse des Uí Liatháin vers les portes
de fer de Tintagel et lui bâtirai un château de tours d’argent qui se perdra
dans les étoiles. » Il rit de son extravagance. « Tu vas l’adorer,
Derfel ! »
Je n’ajoutai
pas un mot de plus, me contentant de le laisser parler inlassablement. Nos
nouvelles ne l’intéressaient pas, il lui était bien égal que j’eusse trois
filles et que les Saxons fussent sur la défensive. Il n’y avait de place dans
son univers que pour Iseult : « Attends un peu de la voir, Derfel ! »
répétait-il sans cesse. Plus nous approchions de leur refuge, plus il était
excité. Puis, incapable d’être séparé de son Iseult plus longtemps, il enfourcha
son cheval et galopa devant nous. Arthur me regarda d’un air interrogateur,
auquel je répondis par une grimace : « Il est amoureux, fis-je, comme
s’il y avait besoin d’une explication.
— Et il
partage le goût de son père pour les jeunes filles, ajouta Arthur d’un ton
lugubre.
— Vous et
moi, Seigneur, nous connaissons l’amour. Soyez bon avec eux. »
Le refuge de
Tristan et Iseult était un coin charmant, le plus plaisant peut-être que j’eusse
jamais vu. Un paysage de petites collines agrémentées de ruisseaux et couvertes
de bois épais, avec des rivières qui se jetaient dans la mer et des falaises
qui grouillaient d’oiseaux aux cris perçants. Un pays sauvage, mais beau. Un
endroit digne de la folie pure de l’amour.
Et c’est là,
dans une petite salle obscure perdue au milieu des bois verdoyants, que je fis
la connaissance d’Iseult.
Petite et
brune, fragile et comme venue d’un autre monde : voilà le souvenir que j’en
ai gardé. À peine plus qu’une enfant, en vérité, alors même que son mariage
avec Marc en avait fait une femme. Elle m’apparut comme une petite fille maigre
et farouche, avec juste une discrète touche de féminité, qui gardait ses grands
yeux noirs fixés sur Tristan. Elle s’inclina devant Arthur. « Vous n’avez
pas à vous incliner devant moi, répondit Arthur en l’aidant à se relever, vous
êtes reine. » Il posa un genou à terre pour déposer un baiser sur sa main
menue.
Sa voix était
un simple murmure, pareille à celle d’un spectre. Elle avait des cheveux noirs
et, pour essayer de paraître plus âgée, elle les avait enroulés au-dessus de la
tête en une grande couronne truffée de bijoux. Mais elle portait mal les bijoux
et me rappelait Morwenna, avec son habitude de mettre les vêtements de sa mère.
Elle nous considéra d’un air apeuré. Elle avait deviné avant Tristan, je crois,
que cette intrusion de lanciers n’était pas la venue d’amis, mais l’arrivée de
ses juges.
C’est Culhwch
qui avait mis ce refuge à la disposition des amants. C’était une salle de
rondins et de paille de seigle, pas grande, mais bien construite. Elle avait
jadis appartenu à un chef qui avait soutenu la rébellion de Cadwy et avait perdu
la tête. La salle, avec ses trois cabanes et son entrepôt, était entourée d’une
palissade plantée au milieu d’une cuvette boisée qui la protégeait des vents
marins. C’est là, avec six fidèles lanciers et un monceau de trésors volés, que
Tristan et Iseult avaient imaginé faire de leur amour une grande chanson.
Arthur déchira
leur partition en lambeaux. « Le trésor, annonça-t-il à Tristan cette nuit
même, doit être restitué à votre père.
— Qu’il
le prenne ! déclara Tristan. Je ne l’ai emporté que pour ne pas être à la
merci de votre charité, Seigneur.
— Aussi
longtemps que vous serez sur cette terre, Seigneur Prince, dit Arthur d’une
voix forte, vous serez nos hôtes.
— Et
combien de temps cela va-t-il durer, Seigneur ? »
Arthur fronça
les sourcils en regardant les combles.
« La
pluie ? Il semble qu’il n’ait pas plu depuis longtemps. »
Tristan revint
à la charge et, de nouveau, Arthur refusa de répondre. Iseult chercha la main
du prince et la garda dans la sienne tandis que Tristan évoquait Lugg Vale. « Alors
que personne ne voulait venir à votre aide, Seigneur, je suis venu.
— En
effet, Seigneur Prince, admit Arthur.
— Et
quand vous avez combattu Owain, Seigneur, j’étais à vos côtés.
— En
effet.
— Et j’ai
conduit mes boucliers aux faucons jusqu’à Londres.
— C’est
vrai, et ils se sont bien battus.
— Et j’ai
prêté votre serment de la
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