L'ennemi de Dieu
de lui dire combien de temps Iseult et lui pouvaient rester en Dumnonie.
Et, une fois de plus. Arthur évita de lui répondre. « Demain, Seigneur
Prince, demain, promit-il à Tristan, nous déciderons de tout. »
Mais, le
lendemain, deux bateaux noirs avec leurs voiles en lambeaux accrochées à de
grands mâts et de grandes proues en forme de têtes de faucon entraient dans les
lacs de Halcwm. Les traversins des deux embarcations grouillaient d’hommes qui,
protégés du vent par le relief, durent rentrer leurs avirons et tirer leurs
longues embarcations vers la grève. Des faisceaux de lances étaient appuyés à l’arrière
tandis que les barreurs hissaient leurs gros gouvernails. Des branches vertes
étaient nouées à la proue, signe que les navires voulaient la paix.
Je ne savais
pas qui était à bord, mais je pouvais le deviner. Le roi Marc était venu du
Kernow.
*
Le roi Marc
était un géant qui me faisait penser à Uther dans son gâtisme. Il était si gros
qu’il ne put escalader les collines de Halcwm sans aide. Quatre lanciers durent
le porter sur un fauteuil équipé de deux robustes perches. Quarante autres
lanciers accompagnaient leur roi précédé par Cyllan, son champion. Le siège
malcommode vacilla jusqu’au sommet de la colline avant de disparaître dans la
cuvette boisée où Tristan et Iseult croyaient avoir trouvé un refuge.
Lorsqu’elle
les vit, Iseult hurla puis, cédant à la panique, courut avec l’énergie du
désespoir afin d’échapper à son mari, mais la palissade n’avait qu’une seule
entrée, que bouchait l’énorme siège du roi Marc, et elle se replia sur la salle
où son amant était pris au piège. Les hommes de Culhwch en gardaient les portes
et en refusèrent l’entrée à Cyllan ou à ses lanciers. Nous entendions Iseult
pleurer, Tristan crier et Arthur plaider. Le roi Marc ordonna que l’on posât
son siège en face de la porte d’entrée et attendit qu’Arthur, le visage pâle,
les traits tirés, en sortît et vînt s’agenouiller devant lui.
Le roi du
Kernow avait un visage boursouflé et marbré par les vaisseaux éclatés. Sa barbe
était maigre et blanche, son souffle court lui écorchait le gosier perdu sous
la graisse. Il fixa Arthur de ses petits yeux chassieux, lui fit signe de se
relever, eut la plus grande peine à s’extraire de son siège et, une fois campé
sur ses jambes enflées, suivit Arthur d’un pas mal assuré vers la plus grande
des baraques. Il faisait chaud, mais le corps massif de Marc était tout de même
enveloppé d’une peau de phoque, comme s’il avait froid. Il mit la main sur le
bras d’Arthur, qui l’aida à entrer dans la salle où deux sièges les attendaient.
Ecœuré,
Culhwch se posta en travers de la porte et y resta, l’épée tirée. Je me plaçai
à côté de lui tandis que, dans notre dos, Iseult aux cheveux noirs pleurait.
Arthur resta
une bonne heure dans la baraque. Puis il en ressortit et nous considéra,
Culhwch et moi. Il parut soupirer puis passa devant nous pour entrer dans la
salle. Nous n’entendîmes rien de ses paroles, juste les hurlements d’Iseult.
Culhwch
foudroyait du regard les lanciers du Kernow, implorant le ciel que l’un d’eux
osât le défier, mais aucun ne bougea. Cyllan, le champion, se tenait impassible
à côté de la porte avec une grande lance de guerre et son immense épée.
Iseult hurla
de nouveau, puis Arthur sortit brusquement en m’attrapant par le bras :
« Viens,
Derfel.
— Et moi ?
lança Culhwch d’un air de défi.
— Garde-les,
répondit Arthur. Nul ne doit rentrer dans la salle. »
Il s’éloigna
sans un mot et je le suivis. Il escalada la colline et longea le sentier qui
menait au sommet de la colline sans desserrer les lèvres. À nos pieds, la
pierre du promontoire s’enfonçait dans la mer, et les vagues venaient s’y
briser dans de grandes gerbes d’écume que le vent incessant emportait vers l’est.
Le soleil brillait au-dessus de nous, mais on apercevait au loin un gros nuage
et Arthur regarda fixement la pluie sombre qui s’abattait sur les flots
déserts. Le vent faisait ondoyer son manteau blanc.
« Connais-tu
la légende d’Excalibur ? » me demanda-t-il tout à trac.
Assurément
mieux que lui, mais je me gardai bien de lui révéler que l’épée était l’un des
Trésors de la Bretagne. « Oui, Seigneur, répondis-je tout en me demandant
pourquoi il me posait cette question en un moment pareil, je sais
Weitere Kostenlose Bücher