L'ennemi de Dieu
Table Ronde », ajouta Tristan.
Nul ne parlait
plus de Confrérie de la Bretagne.
« En
effet, Seigneur, répéta Arthur d’une voix pesante.
— Alors,
Seigneur, l’implora Tristan, n’ai-je point mérité votre aide ?
— Vous l’avez
grandement méritée, Seigneur Prince, et j’en ai conscience. »
C’était une
réponse évasive, mais c’est la seule que Tristan reçut cette nuit-là.
Nous laissâmes
les amants dans la salle pour rejoindre nos paillasses dans les petits
entrepôts. La pluie s’arrêta dans la nuit et le jour se leva sur une aube chaude
et ensoleillée. Je me levai tard et découvris que Tristan et Iseult avaient
déjà quitté la salle. « S’ils avaient une once de bon sens, grogna
Culhwch, ils auraient pris leurs jambes à leur cou.
— Vraiment ?
— Ils n’ont
pas les pieds sur terre, Derfel, ce sont des amants. Ils croient que le monde n’existe
que pour leur commodité. »
Culhwch
clopinait légèrement maintenant, des suites de la blessure reçue au cours de la
bataille contre Aelle.
« Ils
sont allés au bord de la mer, me confia-t-il, prier Manawydan. »
Culhwch et moi
partîmes à la recherche des amants, émergeant de la cuvette boisée pour
escalader une colline balayée par les vents qui se terminait par une grande
falaise où tournoyaient les oiseaux de mer tandis que les vagues de l’océan
venaient s’y briser en grandes gerbes d’écume. Du haut de la falaise, nous
regardions la petite baie où Tristan et Iseult marchaient sur le sable. La
veille, en dévisageant la timide reine, je n’avais pas vraiment compris quelle
folie s’était emparée de Tristan. Mais en cette matinée venteuse, je compris.
Je la vis
soudain lâcher la main de Tristan et filer devant, gambadant, virevoltant et
riant de son amant qui la suivait d’un pas lent. Elle portait une ample robe
blanche et ses cheveux noirs défaits flottaient au vent. On aurait dit un
esprit, pareille à l’une de ces nymphes aquatiques qui dansaient en Bretagne
avant l’arrivée des Romains. Puis, peut-être pour taquiner Tristan ou se faire
mieux entendre de Manawydan, le dieu de la mer, elle se jeta dans la déferlante
et disparut dans les vagues sous le regard effaré de Tristan resté sur le
sable. Puis, aussi luisante qu’une loutre dans un ruisseau, sa tête reparut.
Elle fit un geste de la main, suivi de quelques brasses, puis regagna la plage,
sa robe blanche trempée collant à son pathétique corps décharné. Je ne pus m’empêcher
de remarquer qu’elle avait de petits seins haut perchés et de longues jambes
fuselées, puis Tristan la dissimula à nos regards en l’enveloppant dans les
ailes de son grand manteau noir. Là, au bord de l’eau, il la serra contre lui
et posa la joue sur sa chevelure ruisselante. Culhwch et moi nous éloignâmes,
laissant les amants seuls, exposés au vent marin qui soufflait depuis la
fabuleuse Lyonnesse.
« Il ne
peut pas les renvoyer, grogna Culhwch.
— Il ne
doit pas, approuvai-je alors que nous regardions l’agitation incessante de la
mer.
— Alors
pourquoi Arthur ne veut-il pas les rassurer ? demanda Culhwch d’un air
fâché.
— Je ne
sais pas.
— J’aurais
dû les envoyer en Brocéliande », conclut Culhwch. Le vent soulevait son
manteau tandis que nous contournions les collines par l’ouest, au-dessus de la
petite anse. Notre chemin nous conduisit à un promontoire d’où nous avions vue
sur un grand port naturel où l’océan avait inondé une vallée et formé une
chaîne de grands lacs bien abrités. « Halcwm, fit Culhwch en désignant le
port, et la fumée vient des salines, ajouta-t-il en montrant un panache de
fumée grise qui s’élevait de l’extrémité la plus lointaine des lacs.
— Il doit
bien y avoir ici des mariniers qui les conduiraient en Brocéliande, observai-je
en apercevant au moins une dizaine de bateaux au mouillage.
— Tristan
ne partirait pas, me dit Culhwch d’un air morne. Je le lui ai suggéré, mais il
tient Arthur pour un ami. Il lui fait confiance. Il ne peut attendre d’être roi
car il dit qu’alors toutes les lances du Kernow seront au service d’Arthur.
— Que n’a-t-il
tout simplement tué son père ? demandai-je avec amertume.
— Pour la
même raison qui nous empêche de tuer ce petit salaud de Mordred. Ce n’est pas
une mince affaire de tuer un roi. »
Ce soir-là,
nous dinâmes de nouveau dans la salle et, une fois de plus, Tristan pressa
Arthur
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