L'ennemi de Dieu
filles, tomba malade dans le courant de l’été. Une fièvre qui ne
voulait pas partir, qui allait et venait, mais d’une telle férocité que par
trois fois nous la crûmes morte. Et par trois fois, les concoctions de Merlin
la ramenèrent à la vie, même si rien de ce que fit le vieillard ne put la
débarrasser totalement de son affliction. Dian promettait d’être la plus vive
de nos trois filles. Morwenna, la plus âgée, était une enfant raisonnable qui
aimait à materner ses petites sœurs et que la marche de la maison fascinait.
Elle était toujours curieuse des cuisines, des rouissoirs ou des cuves à lin.
Seren, l’étoile, était notre beauté, une enfant qui avait hérité de la
délicatesse de sa mère, mais y avait ajouté une nature enchanteresse et
pensive. Elle passait des heures avec les bardes, apprenant leurs chansons et
jouant de leurs harpes, mais Dian, aimait à répéter Ceinwyn, était ma fille.
Dian était sans peur. Elle tirait à l’arc, aimait à monter à cheval, et dès six
ans elle savait manier le coracle aussi bien que les pêcheurs de l’étang. Elle
était dans sa sixième année quand la fièvre s’empara d’elle, et, sans cette
fièvre, nous serions probablement allés tous ensemble au Powys. Un mois nous
séparait en effet du sixième anniversaire de l’acclamation de Mordred lorsque
le roi nous ordonna, à Arthur et à moi, de nous rendre dans le royaume de
Cuneglas.
Mordred nous
en fit la demande lors de l’une de ses rares apparitions au Conseil royal. La
soudaineté de sa décision nous surprit, de même que la raison invoquée, mais le
roi était résolu. Il y avait bien sûr un motif caché. Mais ni Arthur ni moi ne
l’avons deviné sur le coup, ni personne au Conseil, sauf Sansum qui en avait eu
l’idée. Il nous fallut longtemps pour démêler les raisons du Seigneur des
Souris. Nous n’avions non plus aucune raison de nous méfier de la proposition
du roi, car elle semblait assez raisonnable, bien que ni Arthur ni moi ne
comprîmes vraiment pourquoi nous étions dépêchés tous deux au Powys.
À l’origine,
il y avait une vieille, vieille histoire. Norwenna, la mère de Mordred, avait
été tuée par Gundleus, roi de Silurie. Mais si Gundleus avait reçu son
châtiment, l’homme qui avait trahi Norwenna vivait encore. Il s’appelait
Ligessac : quand le roi n’était encore qu’un bébé, il était le chef de sa
garde. Mais Ligessac s’était laissé soudoyer par Gundleus et avait ouvert les
portes du Tor, laissant le roi de Silurie libre d’accomplir ses desseins
meurtriers. Morgane avait réussi à sauver Mordred, mais sa mère était morte.
Ligessac, le traître, avait survécu à la guerre qui allait suivi le meurtre, de
même qu’il avait survécu à la bataille de Lugg Vale.
Mordred avait
entendu l’histoire et il était tout naturel qu’il s’inquiétât du sort de
Ligessac, mais c’est l’évêque Sansum qui attisa cet intérêt au point d’en faire
bientôt une obsession. Il avait découvert que le traître s’était réfugié avec
une bande d’ermites chrétiens dans une région de montagnes isolée, dans le nord
de la Silurie, désormais soumise et du ressort de Cuneglas. « Ça me fait
mal de trahir un frère chrétien, déclara le Seigneur des Souris d’un ton
papelard, mais je suis tout aussi meurtri de savoir qu’un chrétien ait pu se
rendre coupable d’une aussi immonde trahison. Ligessac vit encore, Seigneur
Roi, dit-il à Mordred, et il devrait comparaître devant votre justice. »
Arthur suggéra
que l’on priât Cuneglas d’arrêter le fugitif et de le renvoyer en Dumnonie,
mais Sansum rejeta la proposition d’un hochement de tête et insinua qu’il était
assurément discourtois de demander à un autre roi de prendre l’initiative d’une
vengeance qui touchait d’aussi près à l’honneur de Mordred. « C’est l’affaire
de la Dumnonie, insista Sansum, et c’est aux Dumnoniens, Seigneur Roi, de la
mener à bien. »
Mordred
consentit d’un signe, puis insista pour que ce soit Arthur et moi qui allions
capturer le traître. Surpris comme à chaque fois que Mordred faisait preuve d’autorité
au Conseil, Arthur hésita. Pourquoi, voulut-il savoir, envoyer en mission deux
seigneurs quand une douzaine de lanciers suffiraient ? La question nous
valut de Mordred un sourire affecté : « Vous croyez, Seigneur Arthur,
que la Dumnonie s’effondrera si vous et Derfel vous
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