L'ennemi de Dieu
moi ? »
Nous nous
excusâmes. Le lendemain matin nous quittâmes le monastère du vieux roi pour
escalader les collines et entrer dans le Powys. Deux nuits plus tard, nous
étions à Caer Sws, où nous retrouvâmes Culhwch qui prospérait dans son nouveau
royaume. Ce soir-là, nous fîmes tous des excès d’hydromel et le lendemain
matin, lorsque je me rendis à Cwm Isaf avec Cuneglas, j’avais mal à la tête. Le
roi avait pris grand soin de notre maisonnette. « Je me suis dit qu’un
jour vous pourriez en avoir besoin, Derfel.
— Bientôt,
peut-être, fis-je d’un air maussade.
— Bientôt ?
Je l’espère.
— Nous ne
sommes pas vraiment bienvenus en Dumnonie, répondis-je dans un haussement d’épaules.
Mordred m’en veut.
— En ce
cas, demande à être libéré de ton serment.
— Je l’ai
demandé, et il a refusé. »
Je le lui
avais demandé après l’acclamation, quand la honte des deux coups était encore
cuisante, puis je lui avais demandé six mois plus tard, pour essuyer un nouveau
refus. Je crois qu’il était assez intelligent pour deviner que la meilleure
façon de me punir était de m’obliger à le servir.
« Ce sont
tes lanciers qu’il veut ? demanda Cuneglas, assis sur le banc installé
sous le pommier.
— Juste ma
loyauté rampante, fis-je, amer. Il ne paraît pas vouloir livrer la moindre
guerre.
— Alors,
c’est qu’il n’est pas complètement idiot », observa Cuneglas avec une
pointe d’ironie. Puis nous parlâmes de Ceinwyn et des filles, et il offrit d’envoyer
Malaine, son nouveau grand druide, auprès de Dian : « Malaine n’a pas
son pareil pour utiliser les herbes. Meilleur que le vieux Iorweth. Tu as su qu’il
est mort ?
— On me l’a
dit. Et si vous pouvez vous passer des services de Malaine, Seigneur Roi, ce
serait avec plaisir.
— Il
partira demain. Je ne supporte pas de savoir mes nièces malades. Nimue ne t’est
d’aucune aide ?
— Ni plus
ni moins que Merlin », dis-je en touchant la pointe d’une vieille lame de
faucille enfoncée dans l’écorce du pommier. Le contact du fer était fait pour
conjurer le mal qui menaçait Dian. « Les anciens dieux, constatai-je avec
aigreur, ont abandonné la Dumnonie. »
Cuneglas
sourit. « Il n’est jamais bon, Derfel, de sous-estimer les Dieux. Ils s’imposeront
de nouveau en Dumnonie. Les chrétiens aiment à se comparer à des moutons, n’est-ce
pas ? reprit-il après un temps de silence. Eh bien, écoute-les donc bêler
le jour où viendront les loups.
— Quels
loups ?
— Les
Saxons, dit-il d’un air piteux. Ils nous ont accordé dix ans de paix, mais leurs
bateaux continuent à débarquer sur les côtes de l’est et je sens leur force
grandir. S’ils se remettent à nous combattre, vos chrétiens seront assez ravis
de vos épées païennes. » Il se leva et posa la main sur mon épaule. « Nous
n’en avons pas fini avec les Saxons, Derfel. Nous sommes loin d’en avoir fini. »
Le soir, il
nous offrit un banquet. Le lendemain matin, avec un guide que Cuneglas mit à
notre disposition, nous nous enfonçâmes au sud, dans les collines désolées qui
se trouvent par-delà l’ancienne frontière de la Silurie.
Nous nous
dirigions vers une communauté chrétienne isolée. Les chrétiens étaient encore
peu nombreux au Powys, car Cuneglas expulsait impitoyablement de son royaume
les missionnaires de Sansum chaque fois qu’il en découvrait. Mais son royaume
abritait tout de même une poignée de chrétiens, et ils étaient plus nombreux
dans les anciennes terres de la Silurie. Ce groupe-ci, en particulier, était
réputé pour sa sainteté parmi les chrétiens de Bretagne, et ils illustraient
cette sainteté en vivant dans un extrême dénuement au cœur d’un pays sauvage et
hostile. Ligessac avait trouvé refuge parmi ces chrétiens fanatiques qui, comme
nous en avait avertis Tewdric, se mortifiaient les chairs : autrement dit,
c’était à qui aurait la vie la plus misérable. Certains vivaient dans des
grottes, d’autres refusaient tout abri, et d’autres encore ne mangeaient que
des herbes. Certains ne voulaient aucun vêtement, d’autres portaient des tuniques
de crin entremêlées de ronces et des couronnes d’épines. D’autres encore se
fouettaient chaque jour jusqu’au sang comme les flagellants que nous avions vus
à Isca. De mon point de vue, le meilleur châtiment que nous pouvions infliger à
Ligessac était de le laisser croupir
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