L'ennemi de Dieu
également », ajoutai-je pieusement, sans trop savoir
si je prierais le Dieu de Sansum ou les dieux plus sauvages de la Bretagne. J’ai
dit tant et tant de prières de mon vivant, et où m’ont-elles conduit ?
Dans ce refuge humide des collines tandis que nos vieux ennemis chantent dans
nos anciennes salles. Mais tout cela s’est produit beaucoup plus tard, et l’histoire
d’Arthur n’est pas terminée. À certains égards, c’est à peine si elle a
commencé. Car c’est au moment où il a quitté sa gloire et cédé le pouvoir à
Mordred que les épreuves ont commencé : les épreuves d’Arthur, mon
seigneur des serments, mon seigneur implacable, mais mon ami jusqu’à la mort.
*
Au départ, il
ne s’est rien passé. Chacun retenait sa respiration, s’attendant au pire, mais
il ne s’est rien passé.
On fit les
foins, puis on coupa le lin et l’on plaça les tiges fibreuses dans les
rouissoirs si bien que nos villages empestèrent des semaines durant. Puis on s’attaqua
aux champs de seigle, d’orge et de blé, avant d’écouter les esclaves chanter
leurs chansons autour de l’aire de battage ou des meules qui n’en finissaient
pas de tourner. On se servit de la paille pour refaire le chaume, si bien que
pendant un temps nos toitures brillèrent comme or au soleil en cette fin d’été.
On soigna les vergers, on coupa le bois pour l’hiver et l’on ramassa les verges
de saule pour les vanneurs. On se régala de mûres et de ronces, on enfuma les
ruches pour récupérer le miel dans des sacoches que nous suspendions devant les
feux de la cuisine où nous laissions les vivres pour les morts à la veille de
Samain.
Les Saxons
restaient à Llœgyr, nos cours rendaient la justice, les vierges étaient données
en mariage, des enfants naissaient, d’autres mouraient. La fin de l’année nous
valut des brumes et du gel. Le bétail abattu, l’odeur nauséeuse des fosses de
tannage remplaça la puanteur des rouissoirs. Le lin nouvellement tissé fut
lessivé dans des cuves pleines de cendres de bois et d’eau de pluie mêlée à l’urine
que nous avions recueillie tout au long de l’année. Le fisc fit rentrer les
impôts de l’hiver. Et, au solstice, nous autres, adeptes de Mithra, nous tuâmes
un taureau lors de notre fête annuelle en l’honneur du soleil, le jour même où
les chrétiens célébraient la naissance de leur Dieu. À Imbolc, la grande fête
de la saison froide, nous régalâmes deux cents âmes dans notre salle, prenant
grand soin de disposer trois couteaux sur la table à l’usage des dieux
invisibles, et offrîmes des sacrifices pour les récoltes de la nouvelle année.
La naissance d’agneaux fut le premier signe de réveil, puis vint le temps des
labours et de l’ensemencement, puis des nouvelles pousses vertes sur les vieux
arbres nus. Ce fut le premier nouvel an du règne de Mordred.
Ce règne
apporta quelques changements. Mordred exigea de récupérer le Palais d’hiver de
son grand-père, ce qui ne surprit personne. En revanche, je fus surpris de voir
Sansum réclamer pour lui le palais de Lindinis. Il présenta sa requête au
Conseil, expliquant qu’il avait besoin de l’espace du palais pour son école et
la communauté de saintes femmes de Morgane, mais aussi parce qu’il voulait être
à proximité de l’église qu’il construisait au sommet de Caer Cadarn. Mordred y
consentit et Ceinwyn et moi en furent donc chassés de manière expéditive. Mais
la salle d’Ermid étant vide, nous emménageâmes dans son enceinte brumeuse, à
côté de l’étang. Arthur s’opposa à la venue de Sansum à Lindinis, de même qu’il
ne voulait pas que le trésor royal finançât la réfection du palais endommagé,
assurait Sansum, par une ribambelle d’enfants turbulents. Mais Mordred passa
outre. Ce furent ses seules décisions, car il était généralement trop content
de laisser Arthur diriger les affaires du royaume. S’il n’était plus le
protecteur de Mordred, Arthur n’en était pas moins le plus haut conseiller, et
le roi venait rarement au Conseil : il préférait la chasse. Ce n’était pas
toujours le cerf ou les loups qu’il chassait : Arthur et moi nous
habituâmes à porter de l’or à quelque paysan pour le récompenser de la
virginité de sa fille ou de la honte de sa femme. Ce n’était pas une obligation
plaisante, mais c’était un royaume rare et heureux où elle n’était pas
nécessaire.
Dian, la plus
jeune de nos
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