L'ennemi de Dieu
voulut
rien entendre et continua à tâtonner. Quand elle eut trouvé le rideau, elle l’écarta
légèrement, laissant passer un mince filet de lumière. Je la suivis et m’accroupis
pour regarder par-dessus son épaule. Au début, l’ouverture était si mince que je
ne voyais pour ainsi dire rien, puis mes yeux se firent à l’obscurité, et j’en
vis beaucoup trop. Je vis les mystères d’Isis.
Pour
comprendre le sens des événements de la nuit, il me fallait connaître l’histoire
d’Isis. Je ne l’appris que plus tard. Pour l’heure, observant par-dessus les
cheveux coupés de Nimue, je n’avais aucune idée de ce que ce rituel signifiait.
La seule chose que je savais, c’est qu’Isis était une déesse et que, aux yeux
de nombreux Romains, elle avait des pouvoirs exceptionnels. Je savais aussi qu’elle
était la protectrice des trônes, ce qui expliquait la présence du petit trône
noir dressé sur le dais au fond du cellier, même si nous avions quelque mal à
le voir dans l’épaisse fumée qui tourbillonnait et flottait à travers la chambre
noire en cherchant à s’échapper par le puits. La fumée venait de brasiers dont
les flammes étaient nourries par des herbes qui dégageaient cette odeur acre et
entêtante que nous avions flairée à l’orée des bois.
Je ne voyais
pas le chœur, qui continuait à chanter malgré la fumée. En revanche, je voyais
les adorateurs d’Isis. Et, au départ, je n’en crus pas mes yeux. Je ne voulais
pas le croire.
Je vis huit
adorateurs à genoux sur le carrelage noir. Et les huit étaient nus. Ils nous
tournaient le dos, mais je devinai tout de même qu’il y avait parmi eux des
hommes. Pas étonnant que Gwenhwyvach eût gloussé en pensant à ce qui nous
attendait : elle connaissait certainement déjà le secret. Les hommes, ne
se lassait jamais de répéter Guenièvre, n’étaient pas admis dans le temple d’Isis.
Or ils étaient là, cette nuit, comme toutes les nuits où la pleine lune
éclairait la salle. Les flammes dansantes éclairaient d’une lueur blafarde le
dos des adorateurs. Tous étaient nus. Hommes et femmes. Tous nus, exactement comme
Morgane m’en avait prévenu de longues années plus tôt.
Les adorateurs
étaient nus, mais pas les deux célébrants. Le premier était Lavaine, debout à
côté du petit trône noir. Mon âme exulta à sa vue. C’est son épée qui avait
tranché la gorge de Dian, et mon épée n’était plus maintenant qu’à une longueur
de lui. Il se tenait à côté du trône, la cicatrice de sa joue éclairée par le
feu des brasiers tandis que sa chevelure noire huilée, comme celle de Lancelot,
lui tombait dans le dos. Il ne portait pas sa robe blanche de druide cette
nuit-là, mais une robe noire toute simple et il tenait à la main un mince bâton
noir couronné d’un petit croissant de lune doré. Dinas demeurait invisible.
Deux torches
suspendues à leur crochet de fer flanquaient le trône sur lequel Guenièvre,
assise, jouait le rôle d’Isis. Ses cheveux enroulés sur sa tête étaient retenus
par un anneau d’or duquel sortaient deux cornes que je n’avais jamais vues sur
aucune bête. Nous découvrîmes plus tard qu’elles étaient taillées dans l’ivoire.
Elle avait autour du cou un torque d’or massif, mais ne portait aucun autre
bijou sur l’ample manteau rouge foncé qui enveloppait son corps. Je ne voyais
pas le carrelage devant elle, mais je savais que la fosse était là, et j’en
conclus qu’ils attendaient que le clair de lune pénétrât par le puits pour
jeter ses reflets argents sur l’eau noire du bassin. Les rideaux du fond, derrière
lesquels Ceinwyn m’avait dit qu’il y avait un lit, étaient tirés.
Au milieu de
la fumée, apparut soudain un rai de lumière qui fit sursauter les adorateurs
nus. Le petit éclat de lumière pâle et argenté indiquait que la lune était
assez haute maintenant pour que les premiers rayons éclairent le sol. Lavaine attendit
un instant, le temps que la lumière s’épaissît, puis par deux fois frappa le
sol avec son bâton. « C’est l’heure, fit-il de sa voix grave et rauque. C’est
l’heure. » Le chœur se tut.
Il ne se passa
rien. Tous attendaient en silence que la colonne de lumière argentée s’élargît
et se répandît sur le sol, et je me souvins de la nuit lointaine où, accroupi
au sommet du tertre de pierres, près de Llyn Cerrig Bach, j’avais observé la
lumière de la lune se rapprocher du corps de
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