L'ennemi de Dieu
nu
de telle façon que nul n’aurait pu douter de sa virilité. Et l’on ne pouvait se
méprendre non plus sur ce qu’il était censé faire ensuite avec Guenièvre, dont
le corps prenait des reflets magiquement argentés au clair de la lune. Elle lui
prit le bras droit et l’entraîna vers le rideau tendu derrière le trône.
Lavaine les accompagna tandis que les femmes continuaient à se contorsionner et
à se balancer d’avant en arrière en scandant le nom de la grande Déesse : « Isis !
Isis ! Isis ! »
Guenièvre tira
le rideau. J’entrevis la chambre aussi lumineuse que le soleil, puis le chant
atteignit un nouveau degré d’excitation tandis que les hommes cherchaient la
main des femmes qui se tenaient à côté d’eux. Et c’est à ce moment précis que
les portes s’ouvrirent dans mon dos et qu’Arthur, dans toute la splendeur de
son accoutrement guerrier, entra dans le temple : « Non, Seigneur,
suppliai-je. Non, je vous en prie !
— Tu ne
devrais pas être ici, Derfel », fit-il d’une voix posée, mais d’un air de
reproche. Dans sa main droite, il tenait le petit bouquet de bleuets qu’il
avait cueillis pour Guenièvre, de l’autre il serrait la main de son fils. « Sors ! »
m’ordonna-t-il. Mais Nimue tira le gros rideau. Et c’est alors que commença le
cauchemar de mon seigneur.
*
Isis est une
déesse. Ce sont les Romains qui l’ont introduite en Bretagne. Pourtant, elle n’est
pas venue de Rome même, mais d’un lointain pays d’Orient. Mithra aussi est un
dieu venu de l’Orient, mais pas du même pays, je crois. Si je me fie à Galahad,
la moitié des religions du monde sont nées en Orient où, il me semble, les
hommes ressemblent plus à Sagramor qu’à nous. Le christianisme est également
originaire de ces contrées lointaines où, m’a assuré Galahad, les champs ne
donnent que du sable, mais où le soleil est plus brûlant qu’il ne l’est jamais
en Bretagne et où il ne neige jamais.
Isis est venue
de ces terres brûlantes. Elle est devenue pour les Romains une puissante déesse
et, en Bretagne, nombreuses sont les femmes qui ont adopté sa religion après le
départ des Romains. Elle n’a jamais été aussi populaire que le christianisme,
qui tenait ses portes grandes ouvertes à tous ceux qui désiraient adorer son
Dieu, tandis qu’Isis, comme Mithra, n’acceptait pour fidèles que ceux qui
avaient été initiés à ses mystères. Par certains côtés, m’expliqua Galahad,
Isis ressemblait à la Sainte Mère des chrétiens, car elle avait la réputation d’être
une mère parfaite pour son fils Horus, mais Isis possédait aussi des pouvoirs
auxquels la Vierge Marie n’a jamais prétendu. Pour ses adeptes, Isis était la
déesse de la vie et de la mort, de la guérison et, bien entendu, des trônes
mortels.
Elle était
mariée à un dieu du nom d’Osiris. Mais Osiris avait trouvé la mort au cours d’une
guerre entre les Dieux et son corps avait été dépecé puis dispersé dans un
fleuve. Isis avait ramassé la chair éparse et en avait tendrement rassemblé les
morceaux avant de coucher avec les fragments réunis pour rendre son mari à la
vie. Osiris retrouva la vie, ressuscité par la puissance d’Isis. Galahad avait
horreur de cette légende, et il se signait tant et plus quand il la racontait.
C’est à une mise en scène de cette histoire de résurrection et de femme
ramenant un homme à la vie que Nimue et moi étions en train d’assister dans
cette cave noire enfumée. Nous avions observé Isis, la Déesse, la mère, la
donneuse de vie, accomplir le miracle qui rendait la vie à son mari pour en
faire le gardien des vivants et des morts, mais aussi l’arbitre des trônes des
mortels. Et, pour Guenièvre, c’est ce dernier pouvoir, qui décidait des hommes
qui monteraient sur le trône, qui était le don suprême de la Déesse. C’est pour
ce pouvoir qu’elle adorait Isis.
Nimue tira le
rideau et la cave résonna de hurlements.
L’espace d’une
seconde, d’une seconde terrible, Guenièvre hésita, puis se retourna pour voir
ce qui avait troublé le rite. Elle se tenait debout, de toute sa hauteur :
nue et redoutable dans sa pâle beauté, à côté d’un homme nu. À la porte de la
cave, tenant la main de son fils et son bouquet de fleurs, se trouvait son mari.
Les joues de son casque étaient relevées, et je vis le visage d’Arthur à cet
instant terrible : on eût dit que son âme s’était
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