L'ennemi de Dieu
Merlin. Aujourd’hui, j’observais
le clair de lune se répandre dans le silence pesant du temple d’Isis. L’une des
femmes agenouillées laissa échapper un petit geignement puis se tut. Une autre
femme se balançait d’avant en arrière.
La lumière
continua à progresser, jetant un pâle reflet sur le beau visage sévère de
Guenièvre. La colonne de lumière était presque à la verticale maintenant. L’une
des femmes nues frémit sous l’effet non pas du froid, mais des frissons de l’extase.
Puis Lavaine se pencha pour scruter le puits. La lune éclaira sa grosse barbe
et son large visage dur et balafré. Il garda la tête levée quelques instants,
puis recula et toucha solennellement l’épaule de Guenièvre.
Elle se leva,
si bien que les cornes qu’elle avait sur la tête touchaient presque la voûte de
la cave. Elle avait rentré les bras et les mains sous son manteau, qui tombait
droit de ses épaules jusqu’au sol. Elle ferma les yeux : « Qui est la
déesse ? demanda-t-elle.
— Isis,
Isis, Isis, psalmodièrent les femmes à voix basse. Isis, Isis, Isis. »
La colonne de
lumière était maintenant presque aussi large que le puits et formait un grand
pilier de fumée argentée qui ondoyait au centre de la pièce. La première fois
que j’avais vu ce temple, il m’avait paru clinquant. Mais cette nuit, éclairé
par cette lumière chatoyante, c’était le sanctuaire le plus inquiétant et le
plus mystérieux qu’il m’eût été donné de voir.
« Et qui
est le dieu ? demanda Guenièvre, toujours les yeux clos.
— Osiris,
répondirent à voix basse les hommes nus. Osiris, Osiris, Osiris.
— Et qui
va s’asseoir sur le trône ?
— Lancelot,
firent les hommes et les femmes d’une même voix. Lancelot, Lancelot. »
C’est en
entendant ce nom que je sus que rien n’allait se passer comme il fallait cette
nuit. Cette nuit ne restaurerait pas l’ancienne Dumnonie. Cette nuit ne nous
vaudrait que l’horreur, car je savais qu’elle anéantirait Arthur. Je voulais m’éloigner
du rideau pour regagner le cellier et l’entraîner en plein air, au clair de
lune, lui faire remonter le fil des ans, des jours et des heures afin de lui
épargner à jamais cette nuit. Mais je ne bougeai pas. Nimue non plus. Ni l’un
ni l’autre n’osions bouger car Guenièvre avait tendu la main droite pour
reprendre le bâton noir des mains de Lavaine. Son geste dévoila le côté droit
de son corps : sous les plis épais de son manteau rouge, elle était nue.
« Isis,
Isis, Isis, soupiraient les femmes.
— Osiris,
Osiris, Osiris, soufflaient les hommes.
— Lancelot,
Lancelot, Lancelot », scandaient-ils tous en chœur.
Guenièvre prit
le bâton couronné d’or et le tendit en avant, le manteau tombant à nouveau pour
couvrir de son ombre son sein droit. Puis, très lentement, avec des gestes
exagérés, elle toucha de son bâton quelque chose qui se trouvait dans le
bassin, sous le rayon de fumée chatoyante qui descendait maintenant des deux à
la verticale. Nul ne bougeait dans la cave. Il semblait même que tout le monde
retînt sa respiration.
« Debout ! »
ordonna Guenièvre. Et le chœur reprit son étrange et obsédante mélopée. « Isis,
Isis, Isis », psalmodiait-il, et au-dessus de la tête des adorateurs, je
vis un homme sortir du bassin. C’était Dinas : son grand corps musclé et
sa longue chevelure ruisselaient. Il se redressa lentement tandis que le chœur
scandait le nom de la déesse de plus en plus fort : « Isis !
Isis ! Isis ! » continua-t-il à scander jusqu’à ce que Dinas fût
debout devant Guenièvre. Il nous tournait le dos, mais lui aussi était nu. Il
sortit du bassin et Guenièvre rendit le bâton à Lavaine, puis leva les mains et
dégrafa son manteau qui tomba sur le trône. La femme d’Arthur était là,
complètement nue, hormis l’or qu’elle portait autour du cou et l’ivoire de sa
tête. Et elle ouvrit les bras afin que le petit-fils nu de Tanaburs pût monter
l’embrasser sur le dais. « Osiris ! Osiris ! Osiris ! »
appelèrent les femmes de la cave. Certaines d’entre elles se contorsionnaient
comme les chrétiens d’Isca emportés par une semblable extase. Une véritable
frénésie s’empara du chœur : « Osiris ! Osiris ! Osiris ! »
Guenièvre recula d’un pas tandis que Dinas nu se retourna vers les fidèles,
levant les bras d’un air de triomphe. Ainsi révéla-t-il son magnifique corps
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