L'ennemi de Dieu
mourir, car tel est mon serment, et je n’ai
aucune certitude que mon serment me vaudra de réussir. Si la quête échoue, je
serai mort, et vous serez seuls au pays de Lleyn.
— Nous
aurons Nimue, dit Ceinwyn.
— Et elle
est tout ce que vous aurez », ajouta Merlin d’un air sombre avant de se
baisser pour franchir la porte. Nimue le suivit.
Nous restâmes
assis en silence. Je mis une autre bûche dans le feu. Elle était verte, car
nous n’avions que du bois fraîchement coupé. Je regardai la fumée s’épaissir et
tourbillonner vers les combles, puis je pris la main de Ceinwyn.
« Tu veux
vraiment mourir à Lleyn ? demandai-je d’un ton de reproche.
— Non, mais
je veux voir le Chaudron. »
Je regardai
fixement le feu. « Il le remplira de sang », ajoutai-je à voix basse.
Les doigts de
Ceinwyn caressaient les miens. « Quand j’étais petite, dit-elle, j’ai
entendu tous les contes de l’ancienne Bretagne, quand les Dieux vivaient parmi
nous et que tout le monde était heureux. Il n’y avait pas de famine en ce
temps-là, ni de fléaux, rien que nous, les Dieux, et la paix. Je veux voir le
retour de cette Bretagne, Derfel.
— Arthur
dit qu’elle ne reviendra jamais. Nous sommes ce que nous sommes, non plus ce
que nous étions jadis.
— Alors,
qui crois-tu ? Arthur ou Merlin ? »
Je réfléchis
un long moment. « Merlin », dis-je enfin, peut-être parce que je
voulais croire à sa Bretagne où toutes nos peines seraient dissipées comme par
enchantement. J’aimais aussi l’idée qu’Arthur avait de la Bretagne, mais il
passait par la guerre, par un dur labeur et l’espoir que les hommes se conduiraient
bien s’ils étaient bien traités. Le rêve de Merlin exigeait moins et promettait
davantage.
« Alors
nous accompagnerons Merlin », conclut Ceinwyn. Elle marqua un temps d’hésitation
tout en me dévisageant. « Te fais-tu du souci à cause de la prophétie de
Morgane ? » voulut-elle savoir.
Je hochai la
tête. « Elle a du pouvoir, mais pas autant que lui. Ni autant que Nimue. »
Nimue et Merlin avaient tous deux souffert les Trois Blessures de la Sagesse,
et Morgane n’avait enduré que la blessure du corps, jamais la blessure de l’esprit
ni celle de l’orgueil. Mais la prophétie de Morgane était une fable habile, car
à certains égards Merlin défiait les Dieux. Il voulait apprivoiser leurs
caprices et, en retour, leur donner tout un pays voué à leur culte, mais
pourquoi les Dieux se laisseraient-ils faire ? Peut-être avaient-ils fait
de Morgane et de ses moindres pouvoirs leur instrument contre les manigances de
Merlin, car comment expliquer autrement l’hostilité de Morgane ? Ou
peut-être croyait-elle comme Arthur que toute cette quête n’avait aucun sens,
qu’elle n’était que le rêve sans espoir d’un vieillard qui voulait retrouver
une Bretagne disparue avec l’arrivée des Légions. Pour Arthur, il n’y avait qu’un
combat : il fallait bouter les rois saxons hors de la Bretagne, et Arthur
était tout prêt à croire les racontars de sa sœur si cela lui évitait de perdre
la moindre lance contre les boucliers barbouillés de sang de Diwrnach.
Peut-être même se servait-il de sa sœur pour s’assurer qu’aucune vie précieuse
de Dumnonien ne soit gaspillée à Lleyn. Sauf ma vie et celle de mes hommes, et
celle de ma chère Ceinwyn. Car nous avions prêté serment.
Mais Merlin
nous avait délivrés de nos serments, et j’essayai donc une dernière fois de
convaincre Ceinwyn de rester au Powys. Je lui expliquai qu’Arthur était
persuadé que le Chaudron n’existait plus, que les Romains l’avaient sans doute
volé et expédié à Rome, cette grande sentine de tous les trésors, pour le
fondre en peignes, en agrafes, en pièces ou en broches. Quand j’eus fini, elle
me sourit et me demanda de nouveau qui je croyais, Merlin ou Arthur.
« Merlin.
— Moi
aussi, fit-elle. Et je pars. »
Et chacun de
cuire son pain, de rassembler des vivres et d’affûter ses armes. La nuit
suivante, la veille de notre départ, tomba la première neige.
*
Cuneglas nous
donna deux poneys que nous chargeâmes de vivres et de fourrures, puis, nos
boucliers étoilés sur le dos, nous prîmes la route du nord. Iorweth nous donna
sa bénédiction et les lanciers de Cuneglas nous accompagnèrent dans les premiers
kilomètres, mais sitôt que nous eûmes passé les grandes glaces du marécage de
Dugh, au-delà des collines
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