L'ennemi de Dieu
longs bras et en rejetant la tête en arrière si bien que ses tresses enrubannées
touchaient presque les joncs qui couvraient le sol derrière lui. « Isis
est une déesse étrangère, reprit-il, et son pouvoir est faible en ce pays. »
Il ramena la tête en avant et se frotta les yeux de ses longues mains. « Je
suis venu les mains vides, dit-il d’un air lugubre. Aucun homme d’Elmet ne
voulait venir, ni aucun ailleurs. Leurs lances, assurent-ils, sont consacrées
aux ventres des Saxons. Je ne leur ai offert ni or ni argent, seule l’occasion
de se battre au nom des Dieux, et ils m’ont offert leurs prières, puis ils ont
laissé leurs femmes leur parler d’enfants et de foyers, de bétail et de terre.
Et ils se sont éclipsés. Quatre-vingts hommes ! Je n’en demandais pas
plus. Diwrnach peut en aligner deux cents, peut-être une poignée de plus. Quatre-vingts
auraient suffi, mais je n’en ai pas même trouvé huit. Leurs seigneurs ont prêté
serment à Arthur. Le Chaudron, disent-ils, peut attendre que Llœgyr soit de
nouveau à nous. Ils veulent la terre et l’or des Saxons, et je ne leur ai
proposé que du froid et du sang sur la Route de Ténèbre. »
Il y eut un
long silence. Une bûche dégringola dans le feu, faisant jaillir une gerbe d’étincelles
vers le toit encrassé. « Pas un seul homme n’a offert sa lance ?
demandai-je, éberlué.
— Quelques-uns,
mais aucun qui ne m’inspirât confiance. Aucun qui fût digne du Chaudron. »
Il s’arrêta, l’air de nouveau abattu. « Je me bats contre l’attrait de l’or
des Saxons et contre Morgane. Elle s’oppose à moi.
— Morgane ! »
Je ne pus
cacher ma stupeur. Morgane, la sœur aînée d’Arthur, avait été la plus proche
compagne de Merlin avant que Nimue n’usurpât sa place, et si elle haïssait
Nimue, je ne crois pas que sa haine s’étendait à Merlin.
« Morgane,
confirma-t-il sèchement. Elle a fait courir une légende à travers la Bretagne.
Elle prétend que les Dieux sont hostiles à ma quête et que je vais être vaincu,
que ma mort embrassera tous mes compagnons. Elle a rêvé cette fable et les gens
croient à ses rêves. Je suis vieux et faible, dit-elle, et je perds la raison.
— Elle
prétend, ajouta Nimue à voix basse, qu’une femme va te tuer. Non pas Diwrnach. »
Merlin haussa
les épaules. « Morgane joue son jeu à elle, et je ne le comprends pas
encore. » Il plongea la main dans l’une de ses poches et en ressortit une
poignée d’herbes nouées desséchées. À mes yeux, toutes les tiges nouées étaient
semblables, mais il en choisit une, qu’il tendit à Ceinwyn : « Je
vous libère de votre serment, Dame. »
Ceinwyn me
jeta un coup d’œil puis se retourna vers l’herbe nouée.
« Allez-vous
suivre la Route de Ténèbre, Seigneur ? demanda-t-elle à Merlin.
— Oui.
— Mais
comment allez-vous trouver le Chaudron sans moi ? »
Il haussa les
épaules mais ne répondit point.
« Comment
allez-vous le trouver avec elle ? » voulus-je savoir, car je ne
voyais toujours pas pourquoi il fallait une vierge pour trouver le Chaudron ni
pourquoi ce devait être Ceinwyn.
Merlin haussa
à nouveau les épaules : « Le Chaudron a toujours été sous la garde d’une
vierge. Si mes rêves me renseignent correctement, c’est une vierge qui le garde
aujourd’hui et seule une autre vierge peut révéler sa cachette. Tu la verras en
rêve, fit-il à Ceinwyn, si tu veux bien venir.
— Je
viendrai, Seigneur, comme je vous l’ai promis. » Merlin remit l’herbe
nouée dans sa poche et se frotta le visage de ses longues mains. « Nous
partons dans deux jours, annonça-t-il sèchement. Vous devez cuire du pain,
faire des provisions de viande et de poisson sèches, aiguiser vos armes et
prendre assez de fourrures contre le froid. » Il se tourna vers Nimue. « Nous
allons dormir à Caer Sws. Viens.
— Vous
pouvez rester ici, proposai-je.
— Je dois
parler à Iorweth. » Il se redressa, la tête au niveau des combles. « Je
vous libère tous les deux de vos serments, dit-il très solennellement, mais je
prie le ciel que vous veniez tout de même. Mais ce sera plus dur que vous ne l’imaginez
et plus dur que vous ne le craignez dans vos pires cauchemars, car j’ai engagé
ma vie sur le Chaudron. » Il baissa les yeux vers nous. Une immense
tristesse se lisait sur son visage. « Le jour où nous nous engagerons sur
la Route de Ténèbre, je commencerai à
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