L'enquête russe
Noir au cours desquelles Sartine souvent surgissait. Il apparut rapidement qu’en dehors d’une visite à Versailles le couple russe serait accueilli à la résidence du prince Bariatinski, ministre de Catherine II à Paris, où un appartement lui serait préparé. La vieille machine policière se mit en marche. Dans le bureau de permanence s’accumulèrent bientôt les plans de l’hôtel de la rue de Grammont, proche de l’hôtel de police. À la description la plus large s’ajouta la plus resserrée. Chaque pièce, chaque détour, chaque réduit, chaque issue, les portes, les fenêtres, les caves, furent inventoriés. Des empreintes à la cire des clés furent recueillies par les domestiques, la plupart des mouches ou desinformateurs. Nicolas prit conscience que le projet impliquait une organisation dont il n’avait jusque-là pas soupçonné l’ampleur.
Relayant l’action initiée par Sartine à la marine, que ce dernier suivait toujours dans une ombre propice, Vergennes avait complété le tableau de concert avec ses collègues concernés par la guerre. Cette agence dirigée par un ancien militaire avait ses propres règles. Nicolas se soucia aussitôt de cette situation féconde en difficultés. Il s’effraya de l’agitation ainsi déclenchée, convaincu qu’un secret, déjà malaisé à préserver lorsqu’il n’était détenu que par quelques-uns, s’avérait menacé dès que le grand nombre s’en mêlait. On s’agitait et on exigeait beaucoup en vue d’une action mystérieuse que chacun aurait voulu traverser. Cependant il fallait en passer par là et s’en remettre à la chance, situation que le commissaire n’appréciait guère.
Il tenta bien de centraliser ces efforts divergents. Il constata que chaque service mobilisé avait tendance à marcher sur les brisées des autres. Les rivalités alimentées par des animosités personnelles exaspéraient les inévitables conflits. Vergennes, qui disposait du service créé par Sartine, tentait d’unifier sans succès les missions des uns et des autres. Le grand nombre d’agents subalternes qu’on fut contraint d’employer compliquait aussi la préparation d’un plan délicat. Certains abusaient de leur position, ne respectant rien, obligeant ceux qui les employaient à dépenser des trésors d’énergie en vue de les contrôler, au détriment de leurs missions.
La contemplation de ce tableau indignait Nicolas. Il constatait un désordre, fouillis d’activités parfois contradictoires qui conduisaient naturellement àdes querelles d’autorité. Il aurait souhaité que lui et les siens fussent les seuls à la manœuvre. Il n’en était rien. Il ressentait avec force la contradiction existant entre la nature même de l’opération projetée et la complexité de sa préparation.
Au milieu de ce tumulte, Dangeville, serein, manifestait la meilleure volonté, faisant part sans timidité des objections qui, dictées par sa pratique, lui venaient à l’esprit. Nicolas et les siens finirent par le considérer comme l’un des leurs. Au cours d’une de leurs réunions quotidiennes, le sergent Gremillon prit soudain la parole :
— Nous nous efforçons, en perdant notre temps, de trouver les voies pour permettre à notre homme de pénétrer l’Hôtel de Lévi. Pourquoi ne pas éviter ce problème ? Effaçons-le !
— Que voulez-vous dire ? demanda Nicolas, étonné.
— Que si Dangeville était déjà dans la place, le problème serait résolu.
— Certes ! Voici une séduisante proposition ! Mais par quelle magie l’y placerez-vous ?
— Permettez-moi d’observer que vous ne lisez pas suffisamment les gazettes et les affiches et que vous oubliez de consulter les bureaux de placement.
— Fichtre, dit Bourdeau en s’esclaffant. Voilà M. Gremillon plein de loisirs ! Il faut qu’on y veille ; il n’a point suffisamment de besogne ! Et sa cervelle se donne relâche !
— Que non, monsieur l’inspecteur. Riez et écoutez. J’ai seulement constaté que l’ambassade de Russie embauche des domestiques en supplément dans la perspective de l’arrivée du comte du Nord rue de Grammont. On le comprend ce pauvre ministre, il devra faire bonne figure devant son futur souverain. J’en déduis, moi, pauvre esprit,qu’avec une bonne recommandation monsieur que voilà pourrait fort bien y être engagé, à l’Hôtel de Lévi, comme frotteur par exemple. On en demande trois. C’est un emploi qui, chacun le sait,
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