L'enquête russe
galantes, qui ont endeuillé Saint-Pétersbourg et ont cessé après le départ pour la France de l’intéressé, puissent lui être imputés. Cependant les mêmes abominations apparaissent àson arrivée à Paris avec la tuerie de deux filles sur le boulevard proche de l’Hôtel de Lévi. Enfin, preuve incontestable, le secrétaire du grand-duc est surpris quasiment sur le fait dans le parc du château de Chantilly. Subsiste un mystère. Pourquoi cet homme étranger a-t-il rallié la caravane princière à Paris ? De quelle mission était-il chargé pour que le prince Paul l’accueille en familier ? Qui avait pu intervenir pour favoriser sa position auprès de Paul, si soupçonneux pour ses entours ? La question est troublante et n’a point de réponse dans l’état de notre enquête. Peut-on imaginer qu’une force mystérieuse ait pu placer cette machine infernale près du tsarévitch en espérant que ses agissements éclabousseraient le prince Paul ? Reste le cas de la prétendue princesse de Kesseoren.
— Celle-là, en tous cas, vous la tenez, dit Le Noir.
— Oui, et elle a parlé.
— Vous y êtes parvenu ?
— J’ai agité les habituelles menaces. Or il se trouve qu’elle est française par sa mère. On peut tout lui reprocher et, notamment ses multiples agissements qui ont trompé tant de dupes. C’est sans doute cette capacité qui l’a fait recruter dans le bataillon volant des espions de l’impératrice. Kesseoren, Brienne, Dabout-Spada, faisait sa pelote personnelle dans l’impunité de ses fausses identités et bénéficiant d’une auguste protection. Chargée de récupérer une correspondance entre Rovski et l’impératrice, elle reçoit l’ordre de contacter Nikita, sans doute le chef des espions russes à Paris.
— Comment expliquez-vous, demanda Le Noir, que ceux-là apparemment s’ignoraient ?
— Le propre de ces situations, autant que le suppose mon inexpérience, implique une stricte séparation qui sauvegarde le secret dans le cas où l’un des affidés serait surpris et arrêté.
— Soit, reprit Le Noir. Reste cependant, cher Nicolas, que l’attentat, dont Mlle d’Arranet et vous-même furent les victimes, a manqué vous tuer. La dame vous a-t-elle expliqué les raisons qui l’ont poussée à cette tentative vindictueuse .
— Certes, nous en avons parlé. L’affaire est aussi obscure pour elle que pour nous. Elle n’avait plus contact avec ses deux sbires qui, au passage, paraissaient avoir comme principale consigne de la surveiller. Ces deux-là sont morts grâce à la miraculeuse – le mot n’est pas trop fort – intervention de M. de Sartine, qui avait, d’une manière encore plus providentielle, réussi à retrouver la trace de ces deux brigands et se jeter à leur suite.
Pendant toute l’exposition du rapport de Nicolas sur la Kesseoren, Sartine n’avait pas cessé de détruire les rouleaux de sa perruque, perdu dans d’indéchiffrables pensées.
À ce moment on gratta à la porte et le vieux valet, courbé et saluant à la ronde, s’approcha de M. Le Noir. Il hésita un moment.
— Parlez, mon ami. Nous sommes entre nous.
— Monseigneur, il y a là le prince Bariatinski qui fait grand tapage et vous veut parler sur l’heure. Je lui ai dit que vous étiez en conférence, mais il refuse de se retirer et tempête de plus belle !
— Voilà qui est fâcheux, dit Vergennes.
— Souhaitez-vous que je le reçoive à part ?
Vergennes réfléchissait quand Nicolas intervint.
— Monseigneur, j’ai là une pièce qui, dans ces circonstances, car nous pouvons supposer ce qui conduit ici l’ambassadeur de Russie et ce qu’il va exiger, vous serait de la dernière utilité.
— On n’exige rien du gouvernement de Sa Majesté. S’il le croit, il s’égare. Le résultat serait contraire à ses vœux supposés. Toutefois, prenons garde à ne pas troubler le départ du prince par un incident dont la responsabilité revient à la partie russe. Puisque je suis là, recevons-le. Au fait, quel est ce document, monsieur le marquis ?
Nicolas sans un mot tendit l’ordre de mission trouvé chez la princesse de Kesseoren à Meudon. Vergennes le lut, le regarda et le secoua, impatient.
— La belle affaire, ce papier est en russe. Que voulez-vous que j’y comprenne ?
— Veuillez me pardonner ! En voici la traduction effectuée par M. Radot.
Vergennes se plongea dans la lecture de l’ordre de mission. Il enleva ses
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