L'envol du faucon
envies de suicide. Je détesterais les laisser seules et sans défense là-bas. Puis-je les emmener avec moi à Mergui ? Et aussi Gopal, mon secrétaire — en supposant qu'il ait échappé à Ali Beague. La dernière fois que je l'ai vu, c'était peu de temps avant d'être forcé de partager mes quartiers avec un tigre affamé. » Ivatt fut parcouru d'un frisson à ce souvenir.
Phaulkon sourit. « Il se trouve, Thomas, qu'ils seront tous davantage en sécurité à Mergui. J'ai entendu dire — confidentiellement, par l'ambassadeur perse — qu'Aurangzeb, le Grand Moghol, envisage d'envahir Golconde. II est le grand monarque du sous-continent et désire étendre ses territoires. Si l'état de guerre était déclaré à Golconde, nous pourrions les faire patienter pour le paiement des compensations, et si Ali Beague devait être déposé, nous pourrions probablement les oublier complètement. Des économies substantielles pour le jeune Samuel, si l'on considère que les réclamations de Golconde représentent, tout bien considéré, la plus grande partie de la dette. »
Phaulkon regarda Ivatt avec affection. « Je veux d'abord, Thomas, que tu ailles à Madras voir Yale. Tu dois l'empêcher d'envoyer des forces à Mergui. N'oublie pas que le Seigneur de la Vie ne sait rien de l'ultimatum de Yale, et je détesterais qu'il se réveille un beau matin pour trouver son pays en guerre. Tu dois gagner du temps avec Yale. Dis-lui que tu es venu à titre officiel pour l'informer que le Siam reconnaît sa dette et regrette sincèrement ce qui s'est passé. Le Trésor examine à présent le montant des sommes dues. Dès qu'il en aura fini avec cette tâche, des dédommagements adéquats seront versés. Ça devrait le satisfaire. » Ivatt sourit. « Alors je peux aller chercher mes affaires chez moi avant que les armées d'Aurangzeb n'arrivent jusque-là. »
Phaulkon rit. « Tu vas me manquer, Thomas. Reviens vite. Je veillerai à ce que Mergui soit prête pour son nouveau gouverneur avant ton retour. »
Les deux hommes s etreignirent longtemps, puis Ivatt regagna ses quartiers pour se préparer au voyage.
27
Les gardes tombèrent à plat ventre lorsque Phaulkon, les traits tirés et les yeux voilés de fatigue, pénétra dans l'enceinte du palais de Louvo. La santé du Seigneur de la Vie se détériorait rapidement. Bien qu'il eût affirmé précédemment qu'il contrôlerait les affaires de l'Etat avec autant de vigilance que depuis Ayuthia, il avait du mal à s'en sortir. Sa respiration, de plus en plus laborieuse, faisait même des audiences quotidiennes avec ses mandarins un fardeau trop lourd. Il comptait de plus en plus sur son Premier ministre pour voir et entendre à sa place.
L'immense énergie physique et mentale de Phaulkon avait beau lui rendre de grands services, il était débordé, ne serait-ce que parce que sa présence était désormais nécessaire en trois endroits à la fois. Le siège du gouvernement se trouvait à Ayuthia, mais le roi souhaitait avoir en permanence à son côté, à Louvo, le serviteur en qui il avait le plus confiance pour le tenir informé de tout. Les Français à Bangkok requéraient également son temps et son attention : La Loubère, bien que plongé dans ses recherches sur le Siam, n'en demandait pas moins souvent quelque preuve de progrès touchant la conversion de Sa Majesté. Il était clair que cette question était toujours au premier rang de ses préoccupations. Desfarges, qui était retourné à Bangkok pour superviser l'entraînement des soldats siamois, amenait lui aussi régulièrement la question sur le tapis chaque fois qu'il venait à Louvo sous prétexte d'inspecter la garde du corps royale. Mais Phaulkon savait que c'était son hospitalité, sous la forme des trois « femmes de chambre de premier ordre », ainsi que le général se plaisait à les appeler, qui était le vrai motif de ses visites. Phaulkon en était très satisfait. Cela faisait partie de son plan consistant à séparer le général de son armée et à lui faire oublier toute idée d'agression envers le Siam. La situation actuelle ne pouvait cependant durer beaucoup plus longtemps. D'une façon ou d'une autre, il faudrait apaiser les Français, et vite. L'état de santé du roi ajoutait à l'urgence. Si la santé de Sa Majesté s'altérait avant que les incertitudes entourant la présence française au Siam n'aient été résolues, mieux valait ne pas penser aux conséquences.
Comme il atteignait
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