L'envol du faucon
la cour intérieure, Phaulkon se passa une main sur les yeux dans un geste de fatigue qui ne lui ressemblait pas. Comme il aurait souhaité que Sunida pût être avec lui à Louvo ! Sa compagnie contribuerait beaucoup à alléger les pressions intolérables qui pesaient sur lui. Les visites qu'il lui rendait au cours de ses séjours fréquents dans la capitale étaient maintenant bien trop brèves. Le Seigneur de la Vie, Phaulkon en avait la certitude, ne verrait aucune objection à ce qu'il l'amenât à Louvo, malheureusement il n'était pas sûr des plans de Maria. Voudrait-elle déménager à Louvo elle aussi ? Il décida de trouver le temps de soulever la question avec elle la prochaine fois qu'il irait à Ayuthia. Il ne conviendrait pas qu'il eût ses deux femmes à Louvo. Les résidences du roi et de son Premier ministre étaient à deux pas l'une de l'autre et il était tout à fait concevable que Maria et Sunida s'aventurent dans le même jardin en même temps — situa-tion impossible à Ayuthia. Même si Sunida pouvait toujours invoquer l'alibi qu'elle était la concubine du roi, l'instinct de Phaulkon lui disait qu'il valait mieux éviter une confrontation.
Malgré sa santé déclinante, le roi semblait plus heureux à Louvo. Le palais y était considérablement moins solennel que celui d'Ayuthia. L'atmosphère était plus détendue et le protocole moins strict. La chasse était la meilleure du pays, et chaque fois qu'il s'aventurait au-dehors, il pouvait apparaître avec une suite de deux cents à trois cents personnes au lieu des vingt mille requises par le protocole à Ayuthia. Dans son présent état de faiblesse, la simplicité de la vie à Louvo était une aubaine.
Phaulkon gravit les marches en bois qui conduisaient à la salle d'audience lambrissée. Deux soldats français élégamment vêtus, qui faisaient partie des cinquante gardes du corps placés sous les ordres du commandant Beauchamp — maintenant en résidence à Louvo —, le saluèrent. La salle d'audience était plus petite que celle d'Ayuthia mais tout aussi raffinée. Les murs sculptés s'étaient vu adjoindre récemment deux miroirs géants venus de France, présent du roi Louis. Les mandarins en visite pouvaient maintenant jeter un regard discret aux magnifiques cadres et s'apercevoir à plat ventre devant leur souverain.
Alors que Phaulkon attendait seul et prosterné, une sonnerie de trompettes et de conques annonça l'arrivée du Seigneur de la Vie. Dans le silence qui suivit, Phaulkon entendit un halètement en provenance du balcon supérieur. Si seulement il existait un remède contre l'asthme ! pensa-t-il.
« Vichaiyen, nous sommes content... de vous voir. L'air se raréfie autour de nous. Ce n'est pas... agréable. »
Sa Majesté fit une pause. Elle parlait avec difficulté, par phrases courtes, en s'arrêtant fréquemment pour aspirer l'air dans ses poumons. « Notre fille unique nous a mis en colère, dit brusquement le roi en allant droit au but. Elle refuse obstinément d'épouser... Piya. Elle affirme qu'elle préférerait mourir... plutôt que d'épouser quelqu'un de si humble origine. »
Ainsi donc, songea Phaulkon, Pra Piya était le prétendant que le roi avait en tête quand il avait exprimé le vœu de mieux connaître certain jeune courtisan pendant son séjour à Louvo ! Phaulkon avait remarqué que Piya faisait partie de la suite qui avait accompagné Sa Majesté à Louvo. Ce choix ne le surprit pas. Pra Piya avait été donné en cadeau au Seigneur de la Vie conformément à une coutume séculaire. De nombreux parents de tout le pays qui avaient plus d'un enfant pouvaient présenter leur nouveau-né au roi à titre de présent. On les sélectionnait dans le plus grand nombre de districts et de provinces possible pour s'assurer de la loyauté des communautés même les plus éloignées. En effet, lorsque ces enfants, élevés par les gouvernantes royales jusqu'à leur douzième année, retournaient dans leur lieu de naissance, ils demeuraient pour toujours redevables à Sa Majesté et apportaient un grand honneur à leur district. Le roi aimait beaucoup les enfants. Si un enfant pleurait quand on le lui amenait, il était renvoyé chez lui, mais s'il souriait et paraissait content, il restait et était élevé dans la maison royale. La seule condition, strictement observée, était que l'enfant ne devait pas revoir ses vrais parents avant d'avoir atteint l'âge de la puberté et d'être irrévocablement
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