L'envol du faucon
attaché au Maître de la Vie, qui l'avait élevé.
Bébé, Pra Piya avait immédiatement souri au roi et lui avait tendu ses petits bras. Le roi, ravi, l'avait confié aux bons soins d'une de ses sœurs pour qu'on l'élevât au côté de sa fille unique, Yotatep. Quand le garçon grandit et se révéla très versé dans l'étiquette de la Cour — considérée comme le fin du fin d'une bonne éducation —, Sa Majesté fut satisfaite, et, découvrant que le père du jeune homme était mort, adopta ce dernier. Ce n'était pas un génie, mais il était dûment obséquieux et attentif. Le roi, n'ayant pas de fils, s'attacha beaucoup à lui, et on le voyait de plus en plus à son côté.
Phaulkon écoutait Sa Majesté lui décrire sa dernière entrevue avec Yotatep. «" Quoi, père, nous a-t-elle dit, épouser un homme... dont les origines ne sont même pas vraiment connues ? C'est une chose d'adopter un enfant venu de très loin, mais c'en est une autre de souiller le sang royal avec... le Seigneur Bouddha sait quel lignage !"»
Sa Majesté fit une pause pour reprendre son souffle, visiblement exaspérée au souvenir du défi de sa fille.
« Auguste Seigneur, moi, un grain de poussière sous la plante de votre pied, je comprends bien le mécontentement de Votre Majesté. Votre indigne esclave se permet cependant d'offrir une humble suggestion.
— Yotatep est résolue et entêtée, Vichaiyen. Votre suggestion doit comporter... des arguments d'un poids équivalent.
— Auguste Seigneur, je reçois vos ordres. » Phaulkon hésita. « Peut-être l'honorable Princesse serait-elle mieux disposée envers ce mariage si elle pensait qu'elle n'aurait pas à coucher avec Pra Piya.
— Ne pas coucher avec lui ? Comment pourrait-elle refuser son propre époux ?
— Puissant Seigneur, les rois d'Europe font souvent des mariages de convenance. Je suis sûr que Pra Piya serait prêt à ne pas importuner la Princesse si on lui disait que son mariage excluait toute forme d'intimité et n'avait pour seul but que de consolider ses prétentions au trône. Cela pourrait rendre également la Princesse plus réceptive à cette idée.
— Vos monarques farangs s'adonnent à de bien étranges rituels, Vichaiyen. Pourtant, peut-être que nous... pouvons en tirer une leçon dans le cas qui nous occupe. Nous y réfléchirons, Vichaiyen. » Phaulkon entendit le roi avaler de grandes bouffées d'air. « Comment va l'ambassadeur de notre estimé collègue, le roi Roui ? Est-il... plongé dans ses activités littéraires ? Se contente-t-il toujours... de la carotte de notre conversion imminente ?
— Auguste Seigneur, je crains que non. »
Phaulkon garda un moment le silence, profondément conscient qu'une simple réponse comme celle-là devait paraître bien faible à son maître exigeant. La vérité était qu'il ne pouvait imaginer de solution toute faite au problème et qu'il n'avait tout simplement pas eu le temps de se concentrer vraiment pour en trouver une. Le silence s'amplifia. « Puissant Seigneur et Maître, nous avons de la chance en ceci que l'esprit du général Desfarges n'est plus autant préoccupé de questions militaires. Il s'est trop attaché à notre hospitalité. Quant à Cébéret du Boullay, bien qu'il n'ait pas perdu de vue les buts français, il a l'air d'être un homme de raison. Je pense que nous pourrions l'apaiser en faisant un geste supplémentaire. Moi, un simple cheveu, je me permets donc de suggérer que si nous lui accordions l'autorisation de commercer à Songkhla, il pourrait se montrer satisfait.
— Quelle proportion de notre royaume devons-nous donc... céder, Vichaiyen, pour satisfaire les Français ? » L'irritation inhabituelle de la voix royale fit frissonner Phaulkon.
« Puissant Seigneur...
— Nous désirons savoir... comment vous entendez contenter leur chef de mission en ce qui concerne la question de notre conversion, Vichaiyen, interrompit le roi. Nous croyons comprendre que cette question importe beaucoup plus que le droit de commercer. »
Phaulkon garda de nouveau le silence.
« Vos réponses, Vichaiyen, ne semblent plus aussi immédiates que celles auxquelles nous nous sommes habitué. » Le ton du roi se radoucit légèrement. « Peut-être notre absence d'Ayuthia fait-elle peser sur vous un trop lourd fardeau.
— Auguste Seigneur, c'est un honneur pour cet esclave de servir le Seigneur de la Vie en n'importe quel endroit de ses territoires et en toute circonstance,
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