L'envol du faucon
employés qu'il avait fait venir pour maintenir l'ordre, White leur lut la proclamation. Il essaya de tranquilliser les esprits en déclarant qu'ils n'avaient rien fait de mal et qu'ils n'enfreindraient la loi que s'ils refusaient de signer les listes. II n'y avait rien à craindre. Le nouveau roi avait décidé, pour le bien de son pays, que ses sujets devaient cesser de servir des princes étrangers. Ledit n'était pas rétroactif : ils ne seraient punis que s'ils omettaient à l'avenir de respecter les nouvelles règles. Le capitaine Weltden de la Compagnie anglaise des Indes orientales serait là sous peu pour répondre à toutes leurs questions.
Quand le groupe du Curtana arriva, Weltden fut agréablement surpris de trouver un si large rassemblement pour accepter la proclamation. Les hommes s'empressèrent autour de lui.
« Est-ce qu'on a déclaré la guerre au Siam ? demanda un barbu avec inquiétude.
— Quand au plus tôt devons-nous partir pour Madras ? demanda un autre d'un air embarrassé.
— On ne va pas nous mettre en prison là-bas, hein ?
— Ou dans des camps de travail ?
— Pourquoi ne pouvons-nous pas retourner directement en Angleterre ?
— Qui paiera notre traversée ? »
Weltden leva la main pour demander le silence. « Vous êtes tous priés de vous présenter au quartier général de la Compagnie à Madras. J'emmènerai certains d'entre vous avec moi sur le Curtana pendant que le reste partira avec le seigneur White à bord du Résolution. Personne n'aura à payer la traversée. Nous partirons dès que le reste de vos compatriotes seront venus ajouter leur nom à la proclamation. Vous devez leur dire qu'il n'y aura pas de représailles, que personne ne sera poursuivi. Au contraire, vous serez chaleureusement accueillis à Madras. »
Il y eut un murmure général, puis, lentement, les hommes se mirent à former de longues files. Un par un, ils s'avancèrent pour signer la proclamation, certains mettant leur nom, d'autres, incapables d'écrire, traçant une croix à côté de laquelle un compagnon plus instruit inscrivait leur nom.
Weltden continuait de répondre aux questions au fur et à mesure que les colonnes diminuaient. Il arborait une satisfaction marquée. Trente-six hommes au total signèrent la proclamation. Quand le dernier des signataires fut parti, il remit la liste à l'un de ses officiers — Mason était resté sur le Curtana — et tous rejoignirent alors White sur la terrasse, où ils acceptèrent volontiers les rafraîchissements offerts par leur aimable hôte. Encore une joyeuse soirée en perspective, se dit Weltden.
40
A peu près au même moment où les Anglais se rassemblaient au domicile de White à Mergui, un immense cortège quittait Ayuthia et se dirigeait vers l'intérieur des terres pour entreprendre la difficile traversée de l'isthme, couvert d'une végétation épaisse, qui sépare le golfe du Siam du golfe du Bengale. Un bataillon de deux cent cinquante éléphants de guerre, chacun portant deux soldats, un mahout et un esclave, progressait en file indienne le long des étroits sentiers de jungle, tandis que l'importante escorte de soldats et d'esclaves de Phaulkon leur emboîtait le pas. Phaulkon lui-même avançait au milieu du cortège sur un magnifique éléphant somptueusement caparaçonné, le plus grand du troupeau, dans un hoddah fermé par quatre montants sculptés et recouvert d'un dais doré pour le protéger du soleil. Derrière lui et son escorte, venaient le lieutenant Dularic et ses douze bombardiers. Autant d'éléphants mâles, les plus forts du troupeau, tiraient les chariots renforcés transportant l'artillerie française la plus moderne. Malgré l'énormité du poids, les gigantesques pachydermes avaient l'air d'enfants tirant un jouet au bout d'une ficelle. Leur allure pesante, régulière, ne ralentirait guère le cortège, en tout cas pas avant que les sentiers de jungle n'aient pris fin. Derrière eux, des dizaines d'esclaves portaient les effets personnels de Phaulkon ainsi que son palanquin préféré, au cas où l'envie le prendrait de changer de rythme au cours du voyage. Venaient enfin des chariots remplis de provisions et cent gardes qui fermaient la marche.
Dans chaque village traversé, la population locale, intimidée par le passage d'un potentat si élevé, tombait ventre à terre. Les chefs de village offraient leurs victuailles les plus fines et leurs biens les plus précieux à l'illustre Pra Klang, mais
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