L'envol du faucon
nécessité de maintenir le statu quo dans le reste du pays, d'autant plus que ses troupes ignorent tout de l'invasion de Mergui. Et je l'ai persuadé d'écrire une lettre intéressante que j'emporte avec moi.
— Je ne comprends pas.
— Je t'expliquerai tout pendant le voyage, Thomas. Je dois maintenant partir pour Ayuthia. Je veux faire mes adieux à Maria. Je passerai la nuit là-bas. Tu partiras d'ici à l'aube et tu me prendras au passage.
— Est-ce que je dois m'occuper de Sunida ce soir ?
— Ce ne sera pas nécessaire, Thomas, répondit Phaulkon en souriant. Mais je te remercie de ta sollicitude. J'ai déjà eu assez de mal à l'empêcher de venir à Mergui. Elle ferait probablement de toi ce qu'elle voudrait. C'est un risque que je ne peux pas prendre.
— Je pourrais toujours la distraire autrement.
— Je ne sais pas ce qui est le pire. Non, une bonne nuit de sommeil serait préférable, Thomas. J'ai comme l'impression que tu auras besoin de toutes tes forces quand nous atteindrons Mergui.
— Entendu, dit Ivatt en faisant semblant de bou-der. Je vais devoir une fois de plus la priver de mes charmes. »
Phaulkon quitta la pièce, un large sourire aux lèvres.
Anthony Weltden ne s'était pas trompé en ce qui concernait les efforts de White pour respecter la nouvelle proclamation. Dès le premier jour où il en avait entendu parler, White avait commencé à dresser la liste de tous les résidents anglais à Mergui : marchands, marins, officiers et ingénieurs. Environ soixante en tout. Il les avait pratiquement tous rencontrés à un moment ou à un autre. Il avait examiné la liste avec soin, médité longuement en se demandant qui serait prêt à signer la proclamation et qui risquait de s'y opposer. Il lui avait fallu plus de temps que prévu pour rassembler un groupe assez important. Certains étaient absents, et d'autres n'avaient tout bonnement pas répondu, comme s'ils eussent soupçonné quelque mauvais coup de sa part. Bien sûr, les rumeurs allaient bon train, et Dieu seul savait ce qu'ils avaient pu entendre.
Cinq jours plus tard, il était prêt à faire à Weltden une bonne démonstration. Le capitaine avait accepté de se joindre à lui le soir même pour le dîner, et White était impatient de le surprendre. Il fallait à tout prix qu'il convainquît Weltden de sa sincérité, qu'il lui fit baisser sa garde afin de le semer plus facilement sur le chemin de Madras. En effet, l'idée de comparaître devant le juge Yale avait commencé à lui plaire de moins en moins, d'autant que cet imbécile de Rodriguez n'avait pas réussi à obtenir la troisième signature, celle de — qui l'eût cru ? — Hassan, le plus poltron des trois. Il s'occuperait de ce renégat impudent quand il en aurait, ou s'il en avait, le temps.
White calcula que, s'il payait la totalité de la compensation et que sa conduite demeurât constamment exemplaire, il n'y aurait peut-être pas un tel tollé contre lui lorsqu'il fausserait compagnie à Weltden. Et s'il adoptait ensuite un profil bas en Angleterre, peut-être l'histoire finirait-elle par être oubliée. Mais il était plus que jamais pressé de quitter Mergui au plus vite en compagnie de Weltden. L'évidente collusion de Davenport avec Ivatt aggravait désormais sa hantise d'être impliqué par l'enquête inévitable au sujet de la position du Sancta Cruz. Dieu merci, le Sancta Cruz — ou du moins son retour — était un exploit dont Davenport n'était pas au courant ! Il pouvait cependant avoir fourni à Ivatt pas mal de renseignements dommageables. Il avait bien entendu nié être à la solde d'Ivatt, mais White n'avait pas l'intention d'attendre pour découvrir si les protestations d'innocence de son secrétaire étaient vraies. Plus immédiatement, même si Jamieson et son équipage étaient bien rentrés à bord du Résolution, il y avait toujours le risque que l'un d'entre eux — après un petit verre de trop — laissât échapper quelque chose devant un membre de l'équipage du Curtana. White commençait à avoir l'impression d'être un jongleur qui a lancé trop de balles en l'air : à tout moment, il risquait d'en recevoir une en pleine figure.
Au coucher du soleil, ce soir-là, s'était réuni au domicile de White le groupe d'Anglais le plus hétéroclite — la moitié environ du total convoqué — jamais vu ensemble à Mergui. Ils attendaient sur la vaste terrasse et se répandaient dans le jardin. Aidé de trois de ses
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