L'envol du faucon
Petite-Amsterdam prétendent en avoir aperçu quatre autres. Plusieurs hommes déguisés en pêcheurs se dirigent vers eux en ce moment, et...
— Quatre bateaux de plus ? lança Sa Majesté. Mais ça fait six en tout ! Nous sommes scandalisé. Et notre mécontentement est à peine atténué par le fait que vous ayez enfin révélé ce que nous savions déjà. Mais il est temps que vous en appreniez davan-tage, Vichaiyen. » Phaulkon eut le cœur glacé quand il entendit Sa Majesté donner un ordre.
Peu après, la lumière des quatre claustras de bambou ouverts au sommet des murs lambrissés éclaira une silhouette prosternée qui s'avançait dans la salle d'audience en rampant à quatre pattes, le chapeau conique incliné vers l'avant comme la corne d'une licorne. Elle prit position au côté de Phaulkon mais légèrement en retrait. En sa qualité de mandarin de première classe doté de dix mille marques de dignité, l'ambassadeur Kosa Pan ne pouvait se trouver aussi près du balcon royal que le Barcalon, qui en avait quinze mille. Sur terre ou sur mer, dans le cortège accompagnant l'éléphant ou la barque du roi, plus un noble était de haut rang, plus il était proche de son suzerain.
Phaulkon eut quelque mal à contenir sa surprise et sa colère. Comment Kosa Pan avait-il osé se rendre directement chez Sa Majesté sans lui faire d'abord un rapport ? C'était des plus irréguliers. L'homme l'avait délibérément circonvenu. Pis encore. Sa Majesté semblait avoir accepté cette infraction au protocole, interdisant à Phaulkon de s'y opposer ouvertement. Que diable Kosa Pan faisait-il au Siam ?
Kosa Pan baissa légèrement sa tête déjà inclinée en direction de Phaulkon. Il était le frère cadet de feu Kosa Lek, le précédent Barcalon, que Phaulkon avait beaucoup admiré et auquel il avait fini par succéder. Pan, cependant, avait passé le plus clair de sa vie à voyager à l'étranger comme émissaire royal et Phaulkon le connaissait peu, bien qu'il eût entendu parler de sa sagacité et sût qu'il s'était distingué dans le service diplomatique en maintes occasions. Quoi qu'il en fût, il paierait très cher cette insulte.
« Pan, commanda la voix royale, vous allez nous dire ce que vous savez de l'arrivée des Français.
— Puissant souverain, je reçois vos ordres. Moi, un simple cheveu de votre tête, j'ai le regret de signa-1er qu'il y a six bateaux français mouillés de l'autre côté de la barre, dont quatre à l'abri pour éviter toute détection. Deux au moins sont des navires de guerre supérieurs, armés respectivement de cinquante-deux et quarante-huit canons. Ils renferment plusieurs bataillons dans leurs entrailles. »
Phaulkon en eut l'estomac retourné. Ainsi donc Tachard avait bien menti au sujet des effectifs des troupes, tout comme il l'avait fait à propos du nombre de bateaux. Pourquoi ? Quel intérêt avait eu ce maudit jésuite à lui mentir, alors que la conversion de Sa Majesté, convoitée par les Jésuites, dépendait avant tout de l'aide de Phaulkon ? Les Français devaient nourrir de bien sinistres desseins. La vérité s'abattit sur lui comme un coup de massue : ils devaient projeter une invasion. La peur et la fureur s'emparèrent de lui en même temps. Les maudits !...
« Il semble, Vichaiyen, que la garde du corps d'élite que nous avons demandée au roi Roui se soit multipliée à l'infini en cours de route. »
Le ton de Sa Majesté était à la fois indigné et sar-castique. Le monarque s'adressait maintenant à Kosa. « A combien estimeriez-vous les effectifs de la garde du corps venue pour nous servir ?
— Puissant souverain, je reçois vos ordres. Moi, un grain de poussière, je les évalue à cinq cents ou six cents hommes. Il y a eu de nombreuses morts à bord, d'une maladie farang qu'ils appellent le scorbut. J'ai vu les hommes perdre leurs dents avant de mourir. En général, ils jetaient les cadavres par-des-sus bord la nuit, mais je suis resté éveillé pour regarder et j'ai dénombré une bonne trentaine de morts rien que sur mon bateau. Je n'ai pu observer le montant des pertes sur les autres bateaux, mais au plus fort de l'épidémie j'ai entendu l'équipage discuter du grand nombre de "soldats" qui avaient succombé sur les autres vaisseaux. Un membre de l'équipage a émis l'opinion qu'au moins un quart de toutes les forces avait été anéanti.
— Quelles sont donc vos conclusions, Pan ?» La voix de Sa Majesté tremblait légèrement,
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