L'envol du faucon
qui, Vichaiyen, annoncera la nouvelle et pré-parera ces légions de femmes à la bataille ? Nous sommes certain que vos multiples devoirs, sans parler des sentiments de votre épouse catholique, ne vous permettront pas de remplir personnellement cette tâche. »
Phaulkon ne put s'empêcher de sourire. En des circonstances moins graves, Sa Majesté prenait toujours plaisir à le taquiner au sujet de l'insistance des catholiques sur la monogamie, entre autres parce que Phaulkon avait demandé la permission de loger au palais Sunida, sa concubine bien-aimée, en raison de l'intransigeance de son épouse. Aux yeux de Sa Majesté, cette restriction était un des préceptes les plus absurdes de la foi catholique, et ses nombreuses lectures personnelles sur les diverses maîtresses du roi de France n'avaient servi qu'à confirmer son point de vue. Alors qu'aucun moine bouddhiste ne pouvait toucher une femme sous peine de mort, le Défenseur présumé de la Foi catholique se conduisait comme n'importe quel mandarin.
« Auguste Seigneur, votre indigne serviteur croit qu'il faut quelqu'un d'une loyauté incontestable, à la langue convaincante et à l'esprit vif. Je recommanderai humblement Sunida pour cette tâche.
— Un choix avisé que nous approuvons, Vichaiyen. Sunida est la perle des femmes. Mais elle doit veiller à ce que nos femmes aient l'air hospitalières sans se montrer faciles, désireuses de plaire sans être serviles.
— Puissant Seigneur, je reçois vos ordres. Sunida fera en sorte qu'elles succombent aux troupes françaises avec une modestie honorable et une réticence appropriée.
— Bien préparé, un tel plan pourrait sans doute distraire les troupes. Mais soyez averti, Vichaiyen, que le plus grand risque d'échec vient de vos légions de prêtres qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas. Ils ne seront pas exposés aux charmes de nos femmes et ils reprocheront aux soldats leur vie dissolue en les menaçant de damnation éternelle. En effet, la conduite des troupes contrecarrera leurs projets, et ils n'auront pas de cesse, ces jésuites, qu'ils n'aient fait de moi un catholique. Ce sont des conspirateurs impitoyables, dévoués à leur cause, uniquement préoccupés de renverser les gouvernements qui ne voient pas les choses à leur façon, des fanatiques sectaires qui croient que leur devoir sur terre consiste à supplanter les religions pacifiques qui vivent en harmonie avec l'univers depuis bien plus longtemps que la leur. Nous les redoutons plus que l'armée française. »
Après un silence raisonnable, Phaulkon demanda : « Auguste Seigneur, dois-je comprendre que votre humble esclave peut offrir Bangkok aux Français ?
— Nous sommes désireux d'éviter un bain de sang, Vichaiyen. Bien que nous soyons révolté par le traitement réservé à notre ambassadeur, ici présent, et consterné par les circonstances ignominieuses de son débarquement, nous hésitons à déclencher un affrontement pour cette raison. Entre autres parce que cela irait à l'encontre du but même dans lequel nous avons invité les Français : mettre un terme aux ambitions hollandaises. Il serait absurde que les Hollandais voient maintenant que nous ne sommes pas, tout compte fait, les grands alliés de la France. Mais soyez assuré, Pan, que l'insulte qui vous a été faite sera un jour vengée. En attendant, nous vous remercions de votre diligence.
— Auguste Seigneur, moi, un cheveu de votre tête, je vous remercie de vos gracieuses paroles, répondit Kosa, mais j'aurai d'autant plus perdu la face que les Français sauront que l'on ne m'a pas écouté et que mon évasion aura été totalement inutile.
— Qui plus est, ambassadeur, dit Phaulkon d'un ton pince-sans-rire, j'ai bien peur qu'il ne nous faille répandre la rumeur que nous n'avons pas pris vos avertissements au sérieux parce que nous avons cru vos soupçons exagérés et votre vindicte suscitée par les circonstances regrettables de votre évasion ; que nous sommes au contraire ravis par la dimension du contingent français qui mettra un terme une fois pour toutes aux visées hollandaises. Mais sachez, ambassadeur, que vous n'aurez perdu que temporairement la face tandis que vos services envers la nation seront permanents.
— L'histoire montrera un jour que mes avertissements étaient justifiés », insista Kosa Pan, la voix frémissante.
Une quinte de toux émana du balcon supérieur. Phaulkon décida d'avoir un autre entretien avec le
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