L'envol du faucon
des pensées si peu charitables. Il l'avait épousée pour diverses raisons, et il ne le regrettait pas. Ces raisons étaient en partie politiques — puisque les circonstances demandaient une femme catholique —, en partie intellectuelles — car il appréciait et respectait sa finesse et sa sagesse — et en partie affectives, parce que, comme lui, elle était eurasienne. Le fait qu'elle le fût par le sang et que lui ne le fût que par tempérament ne changeait rien à l'affaire. C'était un lien mental, fort et intime, qu'ils partageaient.
Phaulkon voyait Sunida chaque jour après son audience avec le roi. Il était convaincu que son amour, qui semblait croître sans cesse, se nourrissait de la brièveté des moments passés ensemble. Les chamailleries si fréquentes chez ceux qui vivent sous le même toit n'existaient pas entre eux. Sunida et lui n'avaient de temps que pour l'amour, et ils avaient tant à se dire pendant ce bref moment quotidien que c'était comme s'ils venaient de se retrouver après une longue absence.
Sunida, en sa qualité de deuxième épouse honorée du grand Pra Klang, suscitait pour sa part l'envie de toutes les jeunes filles du palais. Sûre de l'amour de son maître et conditionnée par son éducation siamoise, elle n'éprouvait aucune jalousie ni amertume à l'égard de sa première femme. Le fait que cette première femme ne recherchât pas son aide pour s'occuper de son mari la rendait tout au plus perplexe. Un homme n'était-il pas une créature complexe et exigeante ? Pourquoi une femme voudrait-elle prendre sur elle seule la responsabilité de lui plaire ? N'était-il pas évident que deux femmes s'en tiraient mieux qu'une seule ?
Assise près de Phaulkon, elle étendit ses longues jambes de côté et mit doucement sa tête sur ses genoux. Ses doigts tambourinèrent légèrement l'intérieur de ses cuisses et il fut immédiatement remué. Il ne pensa plus à rien, sa main glissa sur son épaule nue et suivit lentement les contours de ses seins. Ils étaient un peu plus clairs que le reste de son torse, ayant été moins exposés aux rayons du soleil. Elle soupira de plaisir, puis, se dressant sur ses genoux, elle s'étira de tout son long comme un chat en ame-nant ses seins voluptueux aux mamelons sombres et durs à la hauteur de sa bouche affamée. Elle creusa le dos, rejeta la tête en arrière et, les yeux clos, s'abandonna aux sensations qui la parcouraient. Puis, brûlant de lui rendre la pareille, elle chercha le nœud de son panung, et tandis que ses longs doigts délicats le défaisaient, sa langue rencontra celle de Phaulkon dans un baiser passionné.
Il l'attira à terre en la serrant très fort contre lui jusqu'au moment où, ivres de passion, ils roulèrent sur le sol, oublieux de sa dureté. Et quand enfin ils n'en purent plus, ils restèrent allongés ensemble, haletants, toujours étroitement enlacés comme s'ils redoutaient que l'enchantement ne cessât.
Au bout d'un moment, elle mit son nez contre sa joue et inhala profondément son odeur, à la façon siamoise. Dans le feu du désir, elle utilisait sa bouche et sa langue comme il le lui avait enseigné, mais, quand ils avaient recouvré leur calme, elle aimait l'embrasser à la manière de son peuple, humant doucement la texture de sa peau et savourant son odeur. Les Siamois étaient déroutés par la rencontre de deux bouches, ces mêmes bouches que les dieux leur avaient données pour avaler la nourriture, et ils jugeaient de telles coutumes grossières et dénuées de raffinement. Phaulkon suspectait que Sunida ne s'était pliée à une telle barbarie que pour lui plaire. Le mot « embrasser » n'existait même pas dans leur langue. Ils utilisaient le mot « humer » ou « inhaler ».
A son tour il mit son nez contre sa joue et huma son odeur. Elle ronronna de plaisir à cette délicatesse.
D'un air malicieux, il tapota le bout de son nez délicat. Droit, celui-ci ne s'évasait doucement qu'aux narines, sans être épaté comme celui de beaucoup de ses compatriotes. Les beaux yeux en amande au-des-sus des hautes pommettes le fixèrent, pleins d'espoir.
« Sunida, j'ai des nouvelles pour toi. Un projet. »
Elle se dressa sur un coude, le visage soudain brillant d'impatience. Il n'y avait rien qu'elle aimât davantage qu'une aventure au service de son maître. Sa dernière mission remontait à quelque temps.
« Dites-moi, mon Seigneur. De quoi s'agit-il ?
— Où est passée ta patience bouddhiste,
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