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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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dans le
patio qu’il arpentait nerveusement depuis le matin. Sa tête avait heurté le
bord de la piscine. Il ne respirait plus. »
    Une chaleur atroce m’envahit la poitrine. Je me
cachai le visage. Ma mère poursuivait sans me regarder :
    « Devant l’adversité, les femmes plient et
les hommes cassent. Ton père était prisonnier de son amour-propre. Moi, on m’a
appris à me soumettre.
    — Et Warda ?
    — Elle nous a quittés après la mort de
Mohamed. Sans son mari, sans sa fille, elle n’avait plus personne dans ce pays.
Je crois qu’elle est rentrée dans son village, en Castille, pour finir sa vie
parmi les siens. »
    Puis elle ajouta à mi-voix :
    « Nous n’aurions jamais dû quitter Grenade.
    — Peut-être allons-nous y revenir. »
    Elle ne daigna pas répondre. Sa main balaya le
vent devant ses yeux, comme pour chasser une mouche insistante.
    « Demande-moi plutôt des nouvelles de ta
fille. »
    Son visage s’éclaira. Le mien tout autant.
    « J’attendais que tu m’en parles. Je n’osais
pas t’interroger. Je l’ai quittée si jeune !
    — Elle est joufflue et effrontée. Elle est en
ce moment chez Sarah qui l’emmène parfois jouer avec ses petits-enfants. »
    Elles arrivèrent toutes deux heures plus tard.
Contrairement à mon attente, ce fut la Bariolée qui me sauta au cou, alors que
ma fille se tenait à une distance respectable. Il fallut donc recourir aux
présentations. Ma mère étant trop émue, Sarah s’en chargea :
    « Sarwat, c’est ton père. »
    La petite fille fit un pas vers moi puis s’arrêta.
    « Tu étais à Tomb…
    — Non, pas à Tombouctou, mais en Égypte, et
je t’ai ramené un petit frère. »
    Je la pris sur mes genoux, la couvrant de baisers,
respirant profondément l’odeur de ses cheveux noirs et lisses, lui caressant
rêveusement la nuque. J’avais l’impression de répéter au détail près une scène
que j’avais vue cent fois : mon père assis sur son coussin, avec ma sœur.
    « Y a-t-il des nouvelles de
Mariam ? »
    Ce fut Sarah qui répondit :
    « On dit qu’elle a été vue une épée à la
main, aux côtés de son homme. Mais il y a tant de légendes à leur sujet…
    — Et toi, crois-tu que Haroun soit un
bandit ?
    — Dans chaque communauté, il y a des
insoumis. On les maudit en public, et on prie pour eux quand on est seul. Même
parmi les juifs. Il y en a dans ce pays qui ne paient pas le tribut, qui
montent à cheval et portent des armes. Nous les appelons Carayim. Tu le sais
sans doute. »
    Je confirmai :
    « Ils sont des centaines, organisés comme une
armée, qui vivent dans les monts de Demensera et d’Hintata, près de
Marrakech. »
    Mais j’avais surtout envie de revenir à ma
préoccupation première.
    « Crois-tu vraiment qu’il y a à Fès des gens
qui prient en secret pour Haroun et Mariam ? »
    Ce fut Salma qui explosa :
    « Si Haroun n’était qu’un bandit, on ne se
serait pas tant acharné contre lui, proclamation après proclamation. Quand il s’est
attaqué au Zerouali, il a failli devenir un héros. On a voulu le faire
apparaître comme un voleur. Aux yeux du commun, l’or est plus salissant que le
sang. »
    Puis, d’une voix plus lente, comme si une autre
personne parlait en elle :
    « Cela ne sert à rien de justifier ton
beau-frère. Si tu cherches à le défendre, tu seras traité comme son complice,
une fois de plus. »
    Ma mère craignait que mon désir d’aider Haroun et
Mariam ne me fasse commettre de nouvelles imprudences. Sans doute avait-elle
raison, mais je me devais d’essayer. La manière même dont mon bannissement
avait été décidé me donnait à penser que le sultan de Fès m’écouterait
maintenant.
    Le souverain était alors en campagne contre les
Portugais, du côté de Boulaouane. Pendant des mois, je parcourus le pays,
suivant l’armée royale, portant parfois des armes et prenant part à quelques
échauffourées. J’étais prêt à tout pour arracher un pardon. Entre deux combats,
je m’entretenais avec le monarque, ses frères et nombre de leurs conseillers.
Mais pourquoi entrer dans les détails quand le résultat est si décevant ?
Un familier du sultan avait fini par m’avouer que bien des crimes avaient été
imputés injustement à Haroun. Pour ajouter, sur un ton de sincérité
désarmante :
    « Même si nous pouvions pardonner à ton
beau-frère ce qu’il a fait, comment pourrions-nous lui pardonner ce dont nous

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