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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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cherchai pas à cacher mon émotion.
    « Pas un instant je n’ai douté de toi. »
    Depuis que nous étions enfants, j’avais toujours,
dans les discussions avec Haroun, capitulé très vite. Mais, cette fois, je me
devais de lui expliquer de quelle manière ses actes avaient affecté notre
parenté. Il se rembrunit.
    « À Fès, j’étais pour eux un supplice. Ici,
je serais leur protecteur. »
    Une semaine plus tard, nous étions tous à Jijil.
Les débris de ma famille étaient réunis, dix fugitifs sous le toit d’un
corsaire. Je m’en souviens pourtant comme d’un moment de bonheur rare, que j’aurais
volontiers prolongé.

L’ANNÉE DU GRAND TURC

922 de l’hégire (5 février 1516 –
23 janvier 1517)
     
    Moi qui courais le monde pour faire échapper
Bayazid à la vindicte des Ottomans, je me suis retrouvé, cette année-là, avec
femme et enfant, au cœur même de Constantinople et dans la posture la plus
incroyable qui fût : penché sur la main tendue du terrible Sélim, qui me
gratifiait d’un hochement de tête protecteur et d’un soupçon de sourire. La
proie, dit-on, est souvent attirée par les crocs qui s’apprêtent à la déchirer.
Peut-être est-ce là l’explication de ma folle témérité. Mais, sur le moment, je
ne l’avais pas vue ainsi. Je m’étais contenté de suivre, au mieux de mon
jugement, le cours des événements, m’efforçant de refaire ma vie sur le peu de
terre dont je ne me sentais pas encore banni. Mais je me dois de dire comment.
    Barberousse prospérait à vue d’œil, ainsi que
Haroun dans son ombre. L’attaque contre Bougie avait fini par échouer, mais le
corsaire avait réussi, aux premiers jours de l’année, à prendre le pouvoir à
Alger, après avoir tué de sa propre main l’ancien maître de la ville, alors que
ce malheureux se faisait masser dans son hammam.
    Alger, ce n’était certes pas aussi grand qu’Oran
ou Bougie, la cité n’aurait pas couvert un seul quartier de Tlemcen, mais elle
avait tout de même l’apparence d’une ville, avec ses quatre mille feux, ses
souks agencés, groupés par métiers, ses avenues bordées de belles maisons, ses
étuves, ses hôtelleries et surtout ses splendides murailles, construites en
grosses pierres, qui s’étendaient du côté de la plage en une vaste esplanade.
Barberousse en avait fait sa capitale, il avait pris un titre royal, et il
entendait se faire reconnaître par tous les princes de l’islam.
    Pour ma part, après les retrouvailles de Jijil, j’avais
repris la route. Fatigué d’errer et frustré par mon expérience cairote, trop
abruptement interrompue, j’avais l’espoir de jeter l’ancre à Tunis, pour
quelques années au moins. D’emblée, je m’étais habillé à la mode du pays,
portant un turban couvert d’un voile, me nourrissant de bazin et parfois
même de bessis, allant jusqu’à avaler une pernicieuse préparation
appelée el-haschisch, mélange de drogue et de sucre, qui prodigue
ivresse, gaieté et appétit. C’est également un redoutable aphrodisiaque, fort
apprécié d’Abou-Abdallah, le souverain de Tunis.
    Grâce à Haroun, qui avait de solides relations
dans la cité, parmi lesquelles le mizwar, commandant en chef de l’armée,
j’avais pu facilement trouver une maison dans le faubourg de Bag-el-Bahr, et je
commençai à prendre contact avec quelques fabricants de toiles dans le but d’établir
un petit comptoir de négoce.
    Je n’en eus guère le temps. Moins d’un mois après
mon arrivée, Haroun vint, un soir, frapper à la porte, accompagné de trois
autres lieutenants de Barberousse, dont un Turc que j’avais salué à Bougie dans
la tente du corsaire. Le Furet était sérieux comme un cadi.
    « Nous avons un message pour toi de la part
de Sa Grandeur Victorieuse al-Qaim bi-amrillah. »
    C’était le titre qu’avait mérité Barberousse en
égorgeant l’émir d’Alger. Il me demandait de me rendre à Constantinople, pour
porter un message au sultan, lui annonçant la création du royaume algérois, lui
témoignant soumission et fidélité, et implorant son appui dans la lutte contre
les Castillans qui occupaient toujours une citadelle marine à l’entrée du port
d’Alger.
    « Je suis très honoré par tant de confiance.
Mais vous êtes déjà quatre. Qu’avez-vous besoin de moi ?
    — Le sultan Sélim n’accepte pas de recevoir
un ambassadeur qui ne soit pas poète, qui ne lui adresse pas des vers de
louange et de

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